Parmi les défauts qui m’accablent, il en est qui contribuent plus que d’autres à un certain « isolement » : d’abord celui d’être encore là, alors que beaucoup de mes contemporains ont disparu. Ensuite celui d’être doté d’une mémoire qui me permet d’évoquer avec précision des actes et des propos datant parfois de plusieurs décennies et que leurs protagonistes préfèrent enterrer avec le concours de ceux qui pensent que l’Histoire a commencé avec eux ou qu’on peut l’instrumentaliser impunément. Celui d’être enclin, sans pour autant jouer les censeurs ou les gardiens du temple à relever quelques erreurs ou approximations manifestes, sans jamais céder une parcelle d’indépendance de pensée, parfois empreinte de considération, mais tant de fois sur la réserve à l’égard de personnages à l’ego surdimensionné disposant des moyens de la communication.
J’ai plusieurs fois ouvert la rubrique « Qui a dit » présentant diverses formules relatives à la Fonction publique dont certains intervenants s’attribuaient la paternité. J’ai noté des phénomènes tels que la relation tendancieuse ou inexacte de certains éléments de l’histoire du syndicalisme des fonctionnaires. Ou encore l’attribution de l’initiative du statut général des fonctionnaires au général de Gaulle (comme d’autres l’ont fait pour les mêmes raisons avec la Sécurité sociale et les grandes décisions de l’époque de la Libération) en « oubliant », entre autres éléments, qu’il avait démissionné en janvier 1946 pour sa « traversée du désert », et en ignorant de surcroît que le groupe socialiste de l’Assemblée Constituante qualifiait ce statut de « totalitaire ». Le transfert opéré plus tard sur le ministre de la fonction publique de la période 1981-1984 qualifié « père » du statut en passant ainsi du culte de l’homme providentiel au léchage de bottes. La célébration de l’anniversaire statutaire 1983-2013 faisant le silence sur certaines réformes gênantes et sur les défauts majeurs de la « politique salariale » des gouvernements successifs des deux dernières décennies du XXe siècle menées sous le label de la « politique contractuelle »…
Mon œuvre personnelle est tout entière, sans la moindre réserve, qu’il s’agisse de mon parcours, des fonctions exercées ou de mes écrits, une contribution à la connaissance de l’histoire de la fonction publique et du syndicalisme des fonctionnaires, à laquelle d’autres personnes dont je ne cesse de préconiser qu’on établisse une bibliographie aussi exhaustive que possible ont également participé de diverses façons. Jusqu’à preuve du contraire, la connaissance de cette documentation est indispensable à la sauvegarde et à la pérennité de la conception française de la fonction publique et à l’efficacité des services publics, aujourd’hui plus gravement menacés que jamais bien au-delà de la question de la réduction massive des effectifs de fonctionnaires envisagée par des politiciens réactionnaires.
J’estime que la situation politique dans laquelle notre pays est plongé a validé, sur le créneau où elle s’est située, ma démarche de ces dernières années.