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Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.

L'Ordonnance du 4 février 1959

Une nouvelle répartition entre domaines législatif et réglementaire

 

    L’article 34 du texte de la constitution finalement  adopté indiquait les domaines dont les lois fixent les règles et y incluait « les garanties fondamentales accordées aux  fonctionnaires civils et militaires de l’Etat ». L’article 37 précisait que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».

    En application de ces deux articles, l’Ordonnance du 4 février 1959, composée de 57 articles répartis en huit titres (Dispositions générales- Recrutement - Rémunération et avantages sociaux- Notation et avancement - Discipline - Positions- Cessation définitive de fonctions – Dispositions diverses) a  fixé les garanties fondamentales sans en donner  une liste exhaustive que certains auteurs s’emploieront à établir à partir du texte du statut et des apports de la jurisprudence.

     Cependant, elle ne s’est pas  bornée pas   à  cet énoncé. Renonçant à une interprétation stricte de la Constitution, le gouvernement y a inclus, après avis du Conseil d’Etat, les principes généraux qui dans la loi du 19 octobre 1946 (dont l’article 56 prononçait l’abrogation) sont des éléments constitutifs de la situation des fonctionnaires qu’il est difficile de dissocier.                                                                                                   

      Alors que le statut général de 1946 comportait 145 articles  l’ordonnance  n’en comptait  plus que 57. Elle opérait un transfert massif au domaine réglementaire. C’est sa caractéristique principale, qui  serait une raison suffisante de constater qu’elle est un élément important de l’histoire du statut.

      Six décrets ont été pris en date du 14 février 1959. Ces décrets fixaient les dispositions  concernant le Conseil supérieur de la fonction publique, les commissions administratives et comités techniques paritaires, la notation et l’avancement, l’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics, les positions des fonctionnaires et la cessation définitive des fonctions, la procédure disciplinaire. Un septième décret en date du 21 mars 1959 déterminait « les emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la décision du gouvernement. »

   Le nouveau dispositif n’était  pas pour autant le résultat d’une simple redistribution entre les domaines législatif et réglementaire. Il ne reprenait pas certaines dispositions  du statut de 1946 et comportait des dispositions nouvelles concernant notamment l’architecture statutaire,  le régime des rémunérations, les organismes paritaires.

 

L’architecture statutaire

   Le fait que la notion de « corps » - qui ne figurait pas dans le statut de 1946 - soit clairement formulée à l’article 17 de l’ordonnance n’est  pas anodin. L’Instruction du 13 mai 1959 relative à l’entrée en vigueur de ce texte ne laisse  aucun doute à ce sujet. Cette instruction  note en effet expressément que l’article 17 « s’attache à ne retenir que les notions de corps, grade et catégorie en écartant délibérément la notion de cadre qui avait été admise par l’ancien statut ». Cet article confirme la notion de catégorie en précisant qu’elle est définie par règlement d’administration publique, ce qui ne se traduira jamais dans le droit positif. Lorsque le Conseil d’Etat sera saisi de la question de savoir à quelle catégorie appartient un corps de fonctionnaires dans le cas où le statut particulier ne le précise pas, il se réfèrera au niveau de recrutement et aux fonctions exercées.

   IL convient, pour éclairer la portée de cette disposition, de rappeler que Roger Grégoire, le premier directeur de la fonction publique (1945-1954) qui avait  participé très activement aux travaux d’élaboration du statut de 1946, dénonçait depuis plusieurs années le système des « cadres » maintenu en fait, comme une source de « confusion ». Les spécialistes et gestionnaires de l’époque antérieure à la publication du  statut de 1946 connaissaient les  inconvénients d’un  système fondé sur l’emploi et une soixantaine d’échelles de rémunération, qui entre autres conséquences négatives, avait  conduit à créer des emplois budgétaires  fictifs pour réaliser les avancements et à créer des bureaux inutiles. Ils ne manquaient pas d’appeler l’attention des pouvoirs publics sur les défauts de l’organisation  des « cadres ».  Michel Debré, signataire de l’ordonnance  de 1959 en sa qualité de Premier ministre, affirmait ainsi  sa fidélité aux principes énoncés dans celle de 1945 qui avait créé l’ENA et  organisé les corps d’administration centrale. (Ce rappel est dédié notamment aux partisans contemporains d’un système de filières et de cadres qui se présentent volontiers comme des « modernes »).

   Le nouveau texte maintient les statuts particuliers en vigueur ainsi que le reclassement hiérarchique prévu par le décret  du 10 juillet 1948 modifié et complété depuis par divers textes. (Nous aurons l’occasion d’évoquer sur ce point des éléments spécifiques de la situation des  personnels enseignants qui ne manqueront probablement  pas de surprendre).

 

Le système des rémunérations

   Le régime  des rémunérations est traité par l’article 22 de l’Ordonnance,  qui dispose que « tout fonctionnaire a droit, après service fait, à une rémunération comportant le traitement, les suppléments pour charge de famille  et l’indemnité de résidence » 

   La règle du « service fait »  est ainsi expressément mentionnée, alors qu’elle ne l’était pas à l’article 31 de la loi du 19 octobre 1946 qui déterminait dans les mêmes termes les composantes de la rémunération. Alors qu’elle  était jusque là une règle de la Comptabilité publique, elle devient  une disposition statutaire, et le droit au traitement après service fait sera considéré comme une garantie fondamentale (CE 7 décembre 1962).

    L’article 22 de l’ordonnance confirme  que le montant  du traitement est fixé  en fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel il est parvenu, mais il introduit une autre modalité  qui aura tendance à se développer par la suite, l’emploi auquel il a été nommé.

  Cet article  énumère  les indemnités  qui peuvent s’ajouter au traitement:

 -indemnités représentatives de frais ;

 -indemnités rétribuant les travaux supplémentaires effectifs ;

 - indemnités justifiées par des sujétions ou des risques inhérents à l’emploi ou présentant le caractère  de primes d’expatriation.

   Il complète cette énumération  par  « les indemnités tenant compte de la manière de servir », une notion nouvelle substituée à celle de « primes de rendement ».

   La loi de finances rectificative n° 61-825 du 29 juillet 1961 précisera dans son article 4 : « Le traitement exigible après service fait, conformément à l’article 22 (1er alinéa) de l’ordonnance  n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires est liquidé selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique. » Elle légalisera la retenue du trentième indivisible : « L’absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l’alinéa précédent »

    L’article 32 du statut de 1946 définissant le « minimum vital » comme référence  du traitement de base  - qui n’avait jamais été appliqué- n’est   pas repris dans l’ordonnance de 1959. Le ministère des finances avait vu rouge en 1946 devant les fameux 120% du minimum vital et tous les gouvernements de la  IVe République avaient fait ce qu’il fallait pour que cette disposition  ne soit pas appliquée.

    Le nouveau texte ne reprend pas les dispositions de l’article 52 du statut de 1946 concernant l’indemnité différentielle. Il laisse le soin aux statuts particuliers de déterminer les conditions de nomination dans le nouveau grade des fonctionnaires qui font l’objet d’une promotion, mais les modalités prévues par le décret n 47-1457 du 4 août 1947 sont  expressément maintenues en vigueur par l’article 56. Dans la pratique, pour les personnels des catégories B, C et D, les agents doivent être  nommés dans leur nouveau grade, à un indice égal ou immédiatement supérieur à celui qu’ils détenaient antérieurement. Mais  les statuts particuliers des agents de catégorie A  prévoiront  en revanche la nomination à l’indice de début ouvrant droit le cas échéant, à indemnité différentielle.

   L’article 22 de l’ordonnance, pas plus que l’article 32 de la loi du 19 octobre 1946 ne prévoit de procédure particulière pour la détermination du niveau général des rémunérations. Le traitement de base est  fixé par décret en conseil des ministres dans la limite des crédits ouverts au budget des charges communes, et la politique contractuelle d’après 1968 n’y changera rien.

Les rapports institutionnels  de l’Etat  avec les syndicats de fonctionnaires

   Les  décrets du 14 février 1959 relatifs  au Conseil supérieur de la fonction publique et aux commissions administratives et comités techniques paritaires ne modifient pas fondamentalement les dispositions antérieures, mais la compétence du Conseil supérieur n’est  plus obligatoire. Il en est  de même pour les Comités techniques paritaires à la demande du Conseil d’Etat, qui a amendé les projets gouvernementaux en retirant de leurs  attributions la fixation des normes et des primes de rendement, marquant ainsi ses réserves à l’égard de ces institutions.

   A noter que le gouvernement n’était pas tenu de suivre cet avis du Conseil d’Etat mais qu’il y a souscrit parce que cette position restrictive correspondait à ses vues. La jurisprudence confirmera par la suite ce caractère facultatif. On peut toujours considérer comme négligeable cette particularité. Mais c’est faire bon marché d’une conquête du statut de 1946 concernant la « participation ». L’administration  qui, elle aussi, avait  fait preuve d’une certaine constance en la matière, en a bien saisi la portée : elle en profitera souvent  pour cesser de consulter les comités techniques qui pour nombre d’entre eux tomberont en désuétude. Pendant toutes ces années, le Conseil supérieur de la fonction publique sera réduit à une chambre d’enregistrement rarement réunie ( l’engagement de promouvoir une réforme des organismes paritaires sera obtenu par les syndicats dans le « constat Oudinot » suivant la grève de mai 1968, mais les gouvernements successifs  résisteront jusqu’en 1976 au respect de cet engagement et il faudra une nouvelle réforme en 1982).                     

    La partie législative du statut général sera modifiée par cinq textes de 1959 à 1968 et six textes de 1968 à 1981. Mais la nouvelle répartition entre le domaine législatif et le domaine réglementaire – caractéristique décisive du texte de 1959 conforme à la Constitution de la Ve République - ne sera  pas  remise  en question.

   L’article 93 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui constitue le titre Ier du statut général des fonctionnaires de l’Etat et des collectivités territoriales a abrogé l’Ordonnance de 1959.

 

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