Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.
Le 26 octobre 1906, paraissaient au Journal Officiel deux décrets. L’un portait création d’un ministère du Travail et de la Prévoyance sociale constitué à partir de services rattachés jusque là aux ministères du Commerce, de l’Intérieur et des Travaux publics. L’autre nommait son titulaire, un jeune avocat socialiste « indépendant », René Viviani.
Le ministère était ainsi créé non par une loi, mais par un décret accompagné d’un rapport rédigé par Georges Clemenceau –devenu président du Conseil et conservant le ministère de l’Intérieur qu’il occupait antérieurement- qui se référait à l’œuvre de Louis Blanc et de Victor Considérant, aux propositions des parlementaires et aux interventions des universitaires qui avaient contribué à cette création. Mais alors qu’il avait directement vécu les événements de 1871, il se gardait bien de mentionner la Commission du Travail et de l’Echange de la Commune de Paris dont P-O Lissagaray avait souligné qu’en la créant, « la révolution du 18 mars aura plus fait pour les travailleurs que jusqu’alors toutes les assemblées bourgeoises de la France depuis le 5 mai 1789 » et son animateur le révolutionnaire hongrois Léo Frankel que dans une heureuse formule, un historien qualifiera de « Premier ministre du Travail d’un gouvernement ouvrier. »
L’idée du ministère du Travail (ou du Progrès) était inscrite, déjà, sur les banderoles des manifestants de la place de l’Hôtel de Ville de Paris, trois jours après le décret du 25 février 1848 rédigé par Louis Blanc par lequel le gouvernement provisoire de la République française reconnaissait le droit au travail. On créait les « Ateliers nationaux », on encourageait la formation « d’associations ouvrières de production », mais au lieu du ministère réclamé, on se contentait d’une « Commission du gouvernement pour les travailleurs ».
Il faudra attendre trente-cinq ans après la Commune de Paris, dans un cheminement marqué par quatre principaux éléments :
1°- l’essor du mouvement syndical (1884, reconnaissance du droit syndical - 1886, création de la Fédération nationale des syndicats – 1892, création de la Fédération des Bourses du travail – 1895, création de la CGT – 1906, congrès d’Amiens.
2°- la publication d’une série de lois sociales-dont le ministère sera précisément chargé d’assurer la gestion – concernant le travail des femmes et des enfants (1874), les enfants maltraités et abandonnés (1889), l’assistance médicale gratuite (I893), la suppression du Livret ouvrier, les accidents du travail (1898), les enfants assistés (1904) l’assistance aux vieillards, malades, infirmes incurables ( 1905), la création d’organismes et institutions tels que le Conseil supérieur du travail (1891), l’Inspection du travail (1892), la publication, au-delà de la création du ministère, de lois concernant le régime d’assurances sociales pour les mineurs, marins, employés de chemins de fer (1909), la publication en décembre 1910 du Livre I du code du travail suivi du Livre II l’année suivante.
3°- une succession de propositions de lois pour la création du ministère, et de débats parlementaires où s’illustrèrent, avec constance, entre 1886 et 1906, les députés Camille Raspail, Gustave Mesureur, l’abbé Lemire, Edouard Vaillant qui fut le responsable de la commission de l’Enseignement de la Commune de Paris.
4° - une campagne menée par des universitaires et des publicistes tel Benoît Malon, également ancien communard, des articles et études publiés par La Revue socialiste, la Société des droits de l’Homme , tendant à vaincre les résistances des conservateurs et du patronat, mais aussi les réserves des syndicats. Victor Griffuelhes, secrétaire de la CGT ne déclarait-il pas : « Ce que nos gouvernants veulent surtout, c’est entraver le mouvement révolutionnaire en canalisant nos grèves et en nous désorganisant » ?
Ces décrets de 1906 survenaient, en effet, dans une période de grande tension sociale. Une loi sur le repos hebdomadaire ou « semaine anglaise » venait d’être votée après avoir surmonté bien des difficultés, alors que la question de la durée du travail était au centre de l’actualité sociale. Aux dirigeants de la CGT qui voulaient faire du 1er mai un jour de grève pour les « huit heures », Clemenceau aurait déclaré : « Vous êtes derrière une barricade, moi devant »1. Il faisait arrêter Griffuelhes et méritait, en plus du titre de « Premier flic de France » qu’il s’attribuait, celui dont on l’affublera plus tard, de « briseur de grèves ». Dans les premières années de l’existence du ministère du Travail, le gouvernement fut confronté à la révolte des vignerons du Languedoc, à la mutinerie du 17e de ligne, aux grandes grèves des postiers et des cheminots, à un mouvement social de grande ampleur1.
1- Une anecdote qui illustre certaines constantes de l’histoire dans la tête de certains personnages: à l’occasion de l’une des discussions salariales auxquelles j’ai participé de 1970 à 1978 en qualité de secrétaire général de l’UGFF-CGT, le directeur du cabinet du ministre de la fonction publique d’un des gouvernements de droite de l’époque me dit textuellement : « nous ne sommes pas du même côté de la barricade. »