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Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.

Le "Grenelle de la fonction publique "et ses suites

         La conférence ouverte le 25 mai 1968 au ministère des Affaires sociales, rue de Grenelle, réunissait les représentants du gouvernement, du patronat, et des syndicats. L’Etat jouait  dans la confrontation entre les « partenaires sociaux », un rôle qui connaîtra plus tard de multiples occasions de se manifester, pour aboutir à des décisions de caractère général concernant l’ensemble des travailleurs.

         La conférence qui se tenait dans la foulée, les 28 et 29 mai, puis les Ier et 2 juin au ministère de la fonction publique alors situé rue Oudinot  était une rencontre directe entre les représentants de l’Etat  et ceux des personnels 2 dont il était l’employeur au sens large du terme, selon l’expression classique de « l’Etat-patron ».Si l’une et l’autre conférence s’étaient  ouvertes  sous la  présidence  du Premier ministre Georges Pompidou engageant de ce fait la responsabilité du gouvernement, il existait cependant  entre elles une différence essentielle de nature.

      .Ainsi qu’il a été  souligné à l’occasion du 40e anniversaire, de nombreuses discussions dans les branches professionnelles,  les entreprises publiques et privées, et les administrations, ont abouti au-delà des mesures .générales, à des  rrésultats souvent substantiels.

        On pourrait dans une certaine mesure, considérer sous cet angle  la conférence Oudinot, mais cette démarche serait réductrice et passerait certainement à côté de la réalité pour au moins deux raisons.

      La  première est que les mesures immédiates et les engagements inscrits dans ce qu’on a appelé le « constat Oudinot »  avaient, comme tous ceux qui concernent la fonction publique, une implication directe et des effets importants sur la politique économique et le budget de la nation. La seconde raison est que la réunion de la conférence  représentait en elle-même un tournant dans les rapports entre l’Etat et les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires et agents publics. Cette situation a d’ailleurs provoqué, dans les milieux gouvernementaux, une véritable panique dont les dirigeants syndicaux de l’époque ont été les témoins

     Le pouvoir se trouvait, en effet, à ce moment-là, confronté à une grève massive qui le contraignait, pour la première fois, à engager une négociation avec les syndicats de fonctionnaires. Cette situation ouvrait une brèche dans la conception autoritaire de l’Etat qui avait jusqu’alors presque toujours prévalu 3. Il rompait ainsi avec une pratique d’information, de consultation et de rencontres informelles pour accompagner des décisions unilatérales qui excluaient toute forme de concertation. Peu de temps avant la grève, Pompidou ne déclarait-il pas  encore que « l’Etat ne négocie pas avec lui-même » ?

      Un  autre aspect de la situation (dont le caractère novateur n’a pas été suffisamment souligné) résidait dans  la participation à la négociation, aux côtés des représentants des fédérations de fonctionnaires et des fédérations des PTT qui leur étaient associées dans le traitement des problèmes généraux de la fonction publique, d’une représentation des organisations des personnels communaux et hospitaliers. Cette participation consacrait en fait l’élargissement  à des collectivités publiques  des déterminants de la politique salariale de l’Etat et des dispositions statutaires et indiciaires qui lui étaient traditionnellement rattachées.

 

Les lendemains d’Oudinot

 

         On peut comprendre que n’aient pas mesuré la portée d’un tel événement ceux qui ignoraient l’histoire de la fonction publique et de son mouvement syndical, ou encore qui  ne percevaient pas  que des discussions concernant des millions de salariés (dont la rémunération et la carrière relèvent de l’Etat) se distinguent par leur nature de celles  menées dans les autres secteurs. En tout cas les résultats  de la conférence d’Oudinot.ont eu des conséquences prolongées.

        Ainsi les engagements concernant les questions relatives aux services sociaux, à l’exercice des  droits syndicaux, au  rôle et  au  fonctionnement des  organismes paritaires ont alimenté pendant des années une activité syndicale et des décisions s’appliquant  essentiellement à la fonction publique de l’Etat. Mais les décisions relatives aux rémunérations s’appliquaient à l’ensemble des personnels,  et les dispositions ultérieures sur les carrières (en premier celles des 500.000 agents des catégories C et D) auront sur les personnels des collectivités locales des répercussions qui prendront toutes leurs dimensions dans la « politique contractuelle ».

         Si le détonateur des négociations de 1968 était la grande grève de Mai, les trois années précédentes avaient  installé, à la suite de la grève des mineurs, les éléments d’une « politique des masses salariales ». Celle-ci  s’appliquait à l’ensemble du secteur public et nationalisé et devait trouver, après les tâtonnements des années 1969-1970, de nouveaux développements dans la politique contractuelle caractérisée par  des négociations annuelles et par les accords qui en résulteront  pour la fonction publique et chacune des entreprises nationales.

         Les années qui suivent 1968  sont marquées par une hausse annuelle des prix d’abord de l’ordre de 6% puis de 15% après les  deux  « chocs pétroliers »  de 1974 et 1979 (qui consacraient  la fin des Trente glorieuses ) et  un accroissement du chômage (1.600.000 en fin de période) Dans ce contexte, il convenait d’obtenir que  la politique salariale de l’Etat assure dans un système « d’échelle mobile » applicable à la grille indiciaire un maintien du pouvoir d’achat et une certaine progression différenciée au profit des petites catégories par référence à un indice officiel des prix fiable4.

        Face à une évolution aussi profonde de la politique de l’Etat (essentiellement dans le domaine  salarial au sens le  plus large) le syndicalisme des fonctionnaires était  traversé de débats et de confrontations. Après la crise provoquée par l’accord préfabriqué de 1972 5 la fédération des fonctionnaires CFDT se transforma en une nouvelle organisation élargie. Au cours des années qui suivirent, des contradictions et conflits surgirent   au sein  de la CGT  et des évolutions internes à la FEN –organisation structurée en tendances- se produisirent.

       Cette période 1968-1981 est donc d’une particulière importance. Mais l’histoire est une création continue. Elle est faite de séquences ponctuées et déterminées par des facteurs politiques, économiques, sociaux, qu’il est indispensable de connaître et d’analyser pour comprendre le présent et pour agir.

 

Problèmes d’aujourd’hui

 

        Aujourd’hui, le mouvement syndical des fonctionnaires est engagé dans une nouvelle phase de son histoire. Il est confronté à ce qu’on appelle la Révision générale des politiques publiques. Celle-ci affecte les structures, le fonctionnement de l’Etat central et des collectivités publiques, la politique budgétaire et l’ensemble des éléments qui conditionnent la situation des fonctionnaires, qu’il s’agisse du statut général, des rémunérations, du régime des retraites ou de l’organisation des carrières.

       La RGPP s’applique aux fonctions publiques de l’Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux  que les politiques menées sous le couvert des « cohabitations » et des « alternances » de 1986-2002 et du quinquennat 2002-2007, et les pratiques de l’administration  ont transformées, le plus souvent sans perspective de retour, dans un nouveau contexte européen et mondial. 

       Les discours officiels sont impunément  émaillés de sollicitations de l’histoire ancienne ou récente où l’ignorance le dispute à la mauvaise foi, notamment dans le domaine des rémunérations. Le porte-plume de Sarkozy ne craint pas d’affirmer  que « notre fonction publique est l’une des plus remarquables du monde par la qualité de ceux qui s’y engagent, par leur haut niveau de qualification, par leur moralité, et par leur professionnalisme ». Il ajoute même qu’en France, « le service public ce n’est pas seulement une profession, ce n’est pas seulement un métier, c’est une vocation »6

          Qu’adviendra-t-il  lorsque  la politique salariale et budgétaire du gouvernement, les mesures déjà  engagées et les projets en gestation auront produit leurs effets ? Les formations  politiques d’opposition qui ont vocation à gouverner  sont-elles  en mesure de proposer une fonction publique conforme aux données de notre temps,  respectant les principes qui ont fait sa force et son rayonnement ?

 

                                                                                                                                                   René Bidouze

 

1- Pour une approche approfondie de ces questions, voir la communication présentée par René Bidouze  « Le syndicalisme de la fonction publique face à la politique salariale de l’Etat et à l’organisation des carrières des fonctionnaires ») lors du colloque de l’IHS-CGT consacré à « La CGT de 1966 à 1984, l’empreinte de Mai 1968 ». Ce texte est disponible sur le site de l’IHS-CGT : www.ihs.cgt.fr

 

2-  La délégation de la CGT  se composait de Roger Loubet et Antoinette Baudois  (UGFF), Georges Frischmann et René Crenier (PTT), Raymond Barberis (Services publics et de santé), René Buhl secrétaire confédéral qui venait de  participer aux négociations de Grenelle)

 

3-La période qui suivit la Libération au cours de laquelle Maurice Thorez fut chargé de la fonction publique, s’écarte de cette tendance autoritaire.

 

4- L’indice officiel calculé par l’Insee était vivement contesté par les organisations syndicales et familiales qui calculaient leur propre indice.

 

5- Jacques Delors, conseiller social de Jacques Chaban-Delmas a obtenu l’accord des fédérations de fonctionnaires avant même l’ouverture des négociations salariales par des contacts bilatéraux excluant la CGT.

 

6-Discours à l’Institut régional d’administration de Nantes (septembre 2007)

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