Le 70e anniversaire de la création du Conseil national de la Résistance est commémoré avec un certain éclat, et il y a tout lieu de s’en féliciter. Mais on ne peut éviter que bien des récits, témoignages ou autres écrits émanant de résistants inconnus ou oubliés échappent aux investigations des médias.
Puisque je dispose de ce blog, on me permettra de sortir de son périmètre habituel et de l’utiliser pour reprendre un texte sur Henriette BIDOUZE, inséré dans l’ouvrage publié en 1985 aux éditions Messidor sous le titre « elles la résistance » traitant un élément peu connu : les « comités féminins ». Cet ouvrage, dont l’Avant-propos était de Marie-Claude Vaillant-Couturier, évoquait une vingtaine d’autres résistantes.
Henriette Seguet en 1945
Henriette, lorsqu’on l’appelle encore parfois Ginette, se reporte en des temps et des lieux proches et lointains tout à la fois.
En avril 1940, elle a dix-neuf ans. Son père, conseiller municipal communiste à Jurançon est arrêté avec d’autres, en tant que tel. Toute la famille était d’ailleurs engagée politiquement, et la jeune fille elle-même était membre des jeunesses communistes.
Le père était un ouvrier, monteur de téléphones aux PTT, qui, au début de la guerre, avait été muté d’office dans le Puy-de-Dôme, puis révoqué avec un dossier bien fourni de « communiste dangereux ». Ce qui, en avril suivant, lui vaut, et son arrestation et son emprisonnement dans les prisons françaises d’abord (Ile de Ré) puis sa déportation en Afrique du Nord. Le salaire paternel était la seule ressource du foyer. Henriette préparait son brevet supérieur. Elle réussissait bien. Mais devant la situation de sa mère (elle avait un frère plus jeune de quatre ans) elle propose d’abandonner ses études et de prendre du travail. La mère s’oppose et finit par accepter. La nuit, elles travaillent à domicile pour fournir le plus d’ouvrage possible aux entreprises de confection qui leur en confient. Par la suite, la mère d’Henriette trouve un emploi de piqueuse de tiges de chaussures, et la jeune fille obtient quelques suppléances au titre d’institutrice intérimaire.
Il faut vraiment qu’on en ait besoin, car le dossier d’Henriette n’est pas de ceux qui favorisent alors une carrière : avoir un père en prison pour des raisons politiques, avoir soi-même frayé avec les jeunesses communistes, cela n’est pas dans l’optique des autorités vichyssoises, on s’en doute. Elle tiendra pourtant deux ans dans l’enseignement. Son activité lui permet des contacts dans des villages nouveaux, de renouer avec d’anciens camarades de son père (dont certains avaient milité avec lui contre Tixier-Vignancourt dans le canton d’Orthez…) Mais elle se lie aussi avec des socialistes, à des échanges enrichissants et très positifs avec bien des gens.
Les communistes organisés demandent, bien entendu, des services à la famille : abriter des clandestins, cacher du matériel. Mais, dit-elle, j’ai comme l’impression qu’ils craignaient de trop mettre en cause la famille du militant arrêté !
En 1942, Henriette est contactée pour la mise en place des « Comités féminins ». On connaît son passé, ses liens avec l’action des Jeunes filles de France pour l’aide à l’Espagne républicaine, si proche. Sa mère, avant la guerre, avait été membre du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme animé, entre autres, par Maria Rabaté. Henriette avait organisé nombre d’expéditions vers le camp de Gurs, dans la région d’Oloron-Sainte-Marie, où étaient internés les volontaires des « Brigades internationales » ayant franchi la frontière.
« Au départ, se souvient-elle, les Comités féminins sont de petits groupes sans liens entre eux. La tâche initiale des Comités féminins est d’organiser la solidarité : avec les familles d’internés, de prisonniers de guerre, de déportés. On collecte des vêtements, de la nourriture, de l’argent au profit des plus nécessiteux, on fait des colis… Mais il est primordial d’établir un réseau de confiance sur la base de cette solidarité… Et aussi de récupérer des informations précieuses sur les emplacements des dépôts de vivres ou de biens réquisitionnés par les nazis. Parfois on manifeste devant ces dépôts pour revendiquer leur répartition à la population. D’autres fois on organise la mise à sac pure et simple. C’est à la fois aisé à comprendre et difficile à réaliser. Mais l’action d’après « Ginette « ne devait pas s’arrêter là. La solidarité d’accord, et aussi le déblocage des stocks allemands. Les femmes fournissent des informations sur ces stocks : on sait où il y a des pommes de terre entreposées. Alors elle se procurent du papier, des étiquettes gommées, pré-encollées sur lesquelles elles tracent le bleu-blanc-rouge national et inscrivent leurs revendications : « Nos enfants n’ont rien à manger et, à tel endroit, les Allemands détiennent tant de pommes de terre. Manifestons, exigeons ce dont nos enfants ont besoin ! » Elles collent leurs affichettes un peu partout, lancent des tracts. Chacune sait quels sont les périls encourus. Pour les mères de famille, l’engagement est parfois plus dur. Henriette et ses vingt ans se sentent « libres et motivés. »
Elle s’associe à la mise en œuvre d’actions collectives. Ainsi, la « manif » du 14 juillet à Pau, avec des bouquets tricolores. Henriette est en liaison avec des responsables de Tarbes et de Toulouse. Grâce à ces contacts, elle est informée de la situation générale. Les Comités féminins sont en rapport avec le Front national et les maquis de FTP qui se constituent dans les régions de Nay, Asson etc, régions qui connaissent de grandes activités de sabotage. Des partisans sont pris. Exécutés. Des femmes , indignées , se révèlent alors favorables à l’action clandestine. Pour certaines dont le mari est prisonnier, les sorties nocturnes ne sont pas sans présenter des problèmes d’interprétations malignes. Pourtant les choses vont.
Henriette rit : un jour se souvient-elle, mission lui est confiée de transporter des armes pour les partisans du maquis de Ferrières. A trois sur leurs vélos. Un gendarme s’arrête, les prenant pour des trafiquants de marché noir. Il leur fait la morale mais ne les fouille pas. Brave gendarme. Les armes seront livrées où il se doit et à qui de droit.
Un jour Henriette apprend que la mairie de Jurançon réclame des employés pour l’établissement des cartes d’identité. Elle voit immédiatement l’intérêt stratégique d’un tel emploi. Elle est au chômage de surcroît ! Elle se présente, on l’embauche. Quelque semaines après, les FTP, prévenus par cette « employée modèle » arrivent et emportent tous les titres parfaitement légitimes. Pas question pour Henriette de se représenter. Une des raisons pour qu’elle quitte les Basses-Pyrénées.
Les comités féminins se sont étendus. Leur appui aux maquis est efficace. Leurs actions spectaculaires se multiplient (une manifestation, par exemple, de cent cinquante femmes vêtues de tricolore sur la place du marché de Pau pour le 14 juillet).
Henriette n’a jamais refusé une mission. Parfois elle a quelque mésaventure : ainsi lorsque le Front national la charge, machine et stencils à l’appui, de compléter et taper un tract pour le lendemain. Une nuit de travail acharné. Mais les machines sont ce qu’elles sont. Et parce qu’elle a oublié de placer une plaque sous son stencil, le titre tracé au poinçon est parfaitement lisible … sur le bois du meuble. « Bah, dit-elle ». Son groupe possède deux machines à écrire et deux affreuses ronéos que les femmes manipulent, trimbalent, déménagent sans cesse.
Au début de 1944 Henriette part dans la zone de Tarbes et devient responsable de deux départements : Hautes et Basses-Pyrénées . Elle y restera jusqu’en 1946 pour mettre en place les premiers éléments officiels de l’Union des Femmes françaises.
En 1944, la situation a nettement tourné en défaveur des nazis. On sent les possibilités insurrectionnelles affleurer partout. Les interventions des maquis se multiplient et les manifestations des femmes se font de plus en plus audacieuses. Mai si, parallèlement la population est désormais dans son ensemble favorable, le danger devient plus pressant. Les Allemands n’ont plus grand-chose à ménager. On découvrira des charniers près d’Oloron et Idron.
Il y a eu Stalingrad. Arrive le débarquement. Henriette est à Tarbes ce jour-là : elle va participer à la descente des maquis et à la jonction des forces organisées. Les ouvriers, dans les usines de Tarbes, ont créé des organisations de résistance, de sabotage, tout comme ceux de l’arsenal et des chemins de fer.
C’est l’installation des pouvoirs de substitution avec les mairies. Les femmes des comités y participent. Henriette et ses compagnes appellent à l’insurrection. Henriette est convoquée à Lyon, où les responsables des comités féminins des zones nord et sud décident de s’identifier, en présence de Simone Bertrand, Claudine Chomat, Marcelle Barjonnet, Fernande Valignat. Il lui faudra trois jours pour aller de Tarbes à Lyon tant les perturbations sont encore importantes.
Elle restera un temps secrétaire départementale de l’UFF des Hautes-Pyrénées, retournera à Pau, viendra en 1952 à Paris prendre place à la direction nationale de l’UFF (où elle sera rédactrice en chef, puis directrice du journal Heures Claires). Connue jusqu'alors sous son nom de jeune fille Henriette Seguet épouse René Bidouze en 1952.
Elle continue à s’enthousiasmer pour la transformation de la condition féminine. Un regret : que la Résistance ne soit pas plus et mieux exposée dans les livres scolaires. Un espoir : que jamais la guerre ne
revienne, que chacun soit prêt à tout pour éviter le retoures horreurs qui ont fait d’elle une femme dont la destinée fut intimement liée à celle de la libération de notre pays.
Henriette Bidouze, Vice-présidente de l’Union des Femme françaises, est décédée en 1989.
(cf notices Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - Wikipédia)