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Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.

Echec au STO (Témoignage)

            En novembre 1942, j’ai été incorporé dans un camp des Chantiers de la jeunesse situé près de Foix, transféré  par la suite à Aigueperse dans l’Allier.

            A mon retour de la seule permission dont j’avais bénéficié au printemps 1943, j’ai appris que tout le contingent de mon groupement d’environ 2000 hommes- et qui aurait  dû normalement être libéré avant l’été - serait rassemblé dans un convoi à destination des mines de Katowice, le grand centre industriel et minier de la Haute-Silésie, (une région dont la population comprenait une forte minorité allemande et sera rattachée à la Pologne après la guerre).

           Dépourvu de toute liaison avec la Résistance dans  une région très éloignée de ma région d’origine, j’ai aussitôt entrepris la recherche des possibilités d’échapper à cette déportation. Au cours d’une visite médicale, j’ai carrément demandé au médecin-chef s’il accepterait de me délivrer un certificat médical antidaté sur  son papier à en-tête de médecin civil à Toulouse, attestant une maladie difficile à contrôler. Il a accepté ma proposition qu’il jugeait saugrenue et inefficace. Le certificat, antidaté du 28 janvier 1942, était ainsi libellé :

       « Je soussigné, docteur en médecine, certifie avoir examiné  M. Bidouze, de Jurançon. (Sic) Ce jeune homme présente des séquelles de cortico-pleurite de la base droite qui nécessite une surveillance médicale pendant deux ans. A revoir tous les six mois ».

        Je suis monté dans le convoi avec ce certificat – assez anodin - en poche. Dans un invraisemblable périple, le train s’est arrêté en gare de Limoges. Les jeunes qui désiraient subir une visite médicale ont été invités à descendre sur le quai. J’étais  parmi la quarantaine de ceux qui ont répondu à cet appel. De toute façon j’étais décidé à tout tenter pour échapper à ce convoi avant de franchir la frontière, ce qui était plutôt dangereux.

        Pour me préparer à l’éventualité de la visite médicale, j’avais, alors que je n’étais pas fumeur, absorbé une énorme quantité de fumée de cigarettes. J’ai immédiatement constaté qu’il faudrait subir un examen radiologique : un jeune dont l’image pulmonaire était mauvaise était en train de décrire avec force détails la pleurite dont il était atteint. J’ai reconnu les caractéristiques probables de la maladie que je m’étais attribuée avec la complicité du médecin chef. Après avoir laissé passer plusieurs jeunes pour établir une distance avec ce malade, je me suis présenté à mon tour avec mon certificat et j’ai répondu  aux questions en m’inspirant largement, avec quelques variantes, de ce que j’avais entendu. J’ai vu sur le visage du médecin une certaine perplexité. Après un léger suspense, il a écrit ces quelques mots sur un minuscule carré de papier : « Hiles assez accentués. RAS par ailleurs ».Tel était  l’effet de la fumée de cigarettes. J’ai donc fait partie d’un groupe restreint conduit sous bonne escorte auprès du médecin responsable de la Main d’œuvre pour décision. Ce dernier m’a déclaré « inapte au travail en Allemagne ». Il ne croyait peut-être pas à ma « maladie ». Mais j’étais probablement dans les limites du pourcentage d’inaptes admis par les autorités allemandes et je bénéficiais du doute.

       Avec une vingtaine d’autres inaptes (1% du convoi) j’ai passé la nuit dans un baraquement. Mes compagnons  étaient réellement malades. Ils toussaient et crachaient et j’ai fini par me demander si je n’étais  pas, moi aussi, en train de « partir de la caisse » selon l’expression consacrée.

       Ce petit groupe a d’abord été ramené à ce qui subsistait du camp d’Aigueperse en voie de liquidation où  le médecin-chef m’a pris pour un revenant, puis transféré à Bergerac dans un camp composé de jeunes chargés de participer à la construction d’un terrain d’aviation militaire  sous l’autorité directe  de l’armée allemande.

       Après avoir systématiquement tiré au flanc, malgré la surveillance de soldats allemands arme à la bretelle, j’ai réussi à convaincre la direction du camp que j’avais d’éminentes qualités pour diriger le service du ravitaillement et éviter ainsi  la marche au pas cadencé  le torse nu dans les rues de la ville  et les travaux de terrassement.      

       Mais cette nouvelle astuce s’est bientôt retournée contre moi, car alors que la plupart des jeunes devaient être libérés, j’étais indispensable avant dissolution du camp et je ne figurais pas sur la liste des partants. J’ai dû reprendre une plaidoirie tendant à démontrer que l’administration civile n’attendait plus que moi  pour fonctionner et j’ai enfin été libéré.

        De nouvelles péripéties m’attendaient. Peu de temps après mon retour à Pau - marqué par un périlleux contrôle de la Gestapo dans le train - j’ai reçu une convocation à me rendre, comme tout jeune en âge de partir au STO, à une visite médicale. Toute la journée les jeunes convoqués ont défilé dans le cabinet du médecin. La plupart sortaient « bons pour le service » c’est-à-dire pour le STO. J’ai donc adopté une tactique consistant à laisser passer mon tour le plus longtemps possible. A la fin de l’après-midi l’assistant du médecin est venu annoncer que la séance était terminée et qu’il faudrait revenir le lendemain. Arguant de mon attente prolongée, contestant le bien fondé d’une nouvelle visite alors que j’avais été reconnu inapte, j’ai fait un véritable scandale. Le médecin (pourtant  réputé assez docile à l’égard du système) s’est laissé prendre à cette comédie. Il  a entériné ma situation en me faisant délivrer une « Carte de travail »  revêtue du cachet de la « Direction départementale du Service du Travail obligatoire » Cette carte à quatre volets où figuraient mon état-civil et mes empreintes digitales comportait un cadre destiné à inscrire les « affectations successives » où on pouvait lire « Classé inapte Allemagne par le médecin départemental de la main d’œuvre de Limoges le 27 juillet 1943. A affecter ultérieurement. » Une mention répétée à l’encre rouge qui laissait planer une certaine incertitude.

      Nommé à Sarlat pour mon premier poste dans les Contributions indirectes, j’ai été convoqué par le directeur départemental à Périgueux. Il n’avait qu’une seule préoccupation : ma situation à l’égard du STO (il sera d’ailleurs inquiété à la Libération pour son comportement pendant l’occupation). Ne tenant aucun compte de ma carte de travail il m’a donné l’ordre de me rendre auprès d’un médecin agréé et de revenir lui rendre compte. J’ai vu dans les yeux du médecin qu’il me soupçonnait d’être un simulateur, ce qui montrait au moins une certaine clairvoyance. J’y lisais aussi son regret, qui sera sans doute partagé par le directeur, de ne pouvoir me faire expédier au STO. Il est à peu près certain que mes prétendues affections pulmonaires me suivront toujours dans mon dossier administratif. Encore heureux qu’on ne les ait pas estimées assez graves pour m’empêcher d’exercer mes fonctions.    

        Arrivé à Paris en octobre 1943 pour le stage à l’Ecole des Indirectes, j’ai  dû accomplir encore une fois une démarche administrative concernant ma situation à l’égard du STO. Sur ma carte de travail, le nouveau  contrôle - non assorti d’une visite médicale -a été mentionné par la Direction départementale de la Seine du Commissariat général interministériel de la Main d’œuvre. Cette fois, mon inaptitude au travail en Allemagne était définitivement consacrée. Avec ce document, je suis passé dans toutes les mailles des contrôles policiers  dans le Métro parisien.

         Plus de 600.000 jeunes Français sont partis en Allemagne au titre du STO, auquel les autorités de Vichy ont apporté leur soutien. Les réfractaires qui ont rejoint les maquis et ceux qui  y ont échappé par d’autres moyens étaient une  minorité.

 

 

 

 

 

 

 

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