Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.
L’administration sous la IIIe République ( Extrait d'un projet d'ouvrage: "L'Etat et les fonctionnaires, de la plume sergent-major à internet"
Les campagnes anti-fonctionnaires
On n’insistera pas ici sur le fait que brocarder les fonctionnaires et l’administration fut à une certaine époque un sujet de littérature, d’ailleurs sans méchanceté. On connaît les pièces de Courteline et ses charges contre les « ronds-de-cuir ».
On peut citer cette boutade de Pierre Benoît en 1920 : « Je n’ai encore écrit que trois romans, et déjà, entre autres amabilités, j’ai été traité de plagiaire, de feuilletoniste, de mauvais Français, de mauvais républicain, de mauvais chrétien, d’arriviste, d’ignorant, et même de fonctionnaire. » Henry Bordeaux était sans doute moins bienveillant lorsqu’il écrivait : « Les fonctionnaires qui aliènent leur liberté pour un traitement ne devraient pas voter, mais assister impassibles aux manifestations de la vie nationale comme des eunuques en présence de leur sultan. »
Dans les années 1930, les différentes couches de la population subissent les conséquences de la crise. Elles ont pu éprouver des sentiments négatifs à l’égard des fonctionnaires qui pendant quelques années avaient pu apparaître moins défavorisés. Mais le mécontentement des fonctionnaires n’était nullement injustifié, car le retard des traitements sur les prix avant et après une courte période restait une réalité. Dans ces années, on a assisté à de véritables campagnes orchestrées contre les fonctionnaires, utilisés comme boucs émissaires et qualifiés de « budgétivores ». La presse syndicale, qui ripostait énergiquement, remarquait : « Après les instituteurs « anti-patriotes » et persécuteurs, après les contrôleurs des Contributions directes « espions et mouchards », ce sont les agents des Contributions indirectes « bourreaux et inquisiteurs » que vouent aux gémonies les démagogues de la réaction sociale. »
Au lendemain de la guerre de 1914-1918 une organisation qui s’intitulait « L’Union des intérêts économiques », qui se flattait d’avoir joué un rôle essentiel dans la victoire du « bloc national » aux élections de 1919, diffusait un programme dans lequel figuraient en bonne place « la liquidation des monopoles d’Etat et leur rétrocession à l’industrie privée », la réduction du nombre des fonctionnaires et l’amputation de leurs traitements.
Plus tard, un député de l’Oise sonnait le ralliement des « payants » contre les « payés ». Des Ligues de contribuables se constituaient. Avec certaines chambres de commerce, la « Confédération de la production française », la « Fédération des porteurs de valeurs mobilières » réclamaient la diminution des traitements et retraites. En 1932, un journal corporatif du commerce parlait de « la charge colossale, exorbitante, scandaleuse, que représente l’appareil administratif français, hors de proportion avec tout ce que conçoit la raison, avec tout ce qui est normal, utile, nécessaire et supportable. » Une partie de la presse dénonçait ce qu’elle appelait la « marée montante du fonctionnarisme. »
Henri d’Halluin dit Dorgères, un démagogue animateur des « chemises vertes » en ces temps de montée du fascisme, appelait à des expéditions punitives contre les fonctionnaires du fisc. Dans une circulaire, il donnait des instructions sur les sévices à leur infliger : « Purgation forcée, tatouage sur le front ou peinture tenace du mot fisc, badigeonnage du corps au goudron avec application de duvet, etc »
Le mouvement syndical des fonctionnaires ripostait très énergiquement à ces campagnes destinées à mobiliser les classes moyennes en isolant les agents de l’Etat, en soulignant qu’elles étaient contraires à l’intérêt national. « La Tribune des fonctionnaires » avançait des chiffres tendant à établir « ce que coûtent réellement les fonctionnaires », à montrer à quelles couches sociales profitaient les dégrèvements fiscaux, à dénoncer la fraude fiscale. Elle fustigeait ce qu’elle appelait la « presse pourrie ».
Nous verrons par la suite que la dénonciation des fonctionnaires sera à toutes les époques un sujet de prédilection pour certains journalistes en mal de copie et pour certains hommes politiques.
Réformes administratives, réforme de l’Etat
Au long de ces décennies, la « réforme administrative » est une véritable tarte à la crème.
Alfred Sauvy note que « dans tous les temps et dans tous les pays, l’opinion s’est exprimée contre les bureaux, leur gaspillage et leur despotisme.» Sur le plan politique, un homme politique aussi avisé qu’André Tardieu, plusieurs fois président du conseil de 1929 à 1932, peut avancer cette boutade : « Lorsqu’un Président du conseil veut se faire applaudir sur tous les bancs, il lui suffit d’annoncer la réforme administrative, car personne ne sait ce que cela veut dire. »
Entre 1920 et 1940, de nombreux organismes soit exclusivement composés de hauts fonctionnaires, soit leur associant des parlementaires, ou des représentants des usagers, de l’administration et du personnel, sont créés avec pour but essentiel de rechercher les moyens de réaliser des économies budgétaires. Parmi ces nombreux organismes, on peut citer notamment la « Commission Louis Marin » (1922), le « Comité supérieur des économies » (1932) le « Comité supérieur de réorganisation administrative » dit « Comité de la Hache » (1938).
Cette époque connaît une véritable floraison d’articles, études, rapports et enquêtes proposant des réformes globales ou partielles de l’administration. On a dénombré quelque deux cent cinquante projets émanant d’hommes politiques ou de hauts fonctionnaires.
Quant au thème de la « réforme de l’Etat », qui lui aussi est un « thème éternel », il est l’objet de travaux et réflexions de clubs et comités réunissant des professeurs de droit, des conseillers d’Etat et autres spécialistes.
Les partis de droite mènent dans les années 1930 une campagne sur le thème de la réforme de l’Etat dans laquelle s’illustrent ses principaux leaders, alors que la France est plongée dans une crise politique, économique, morale. Certaines des idées lancées par André Tardieu inspireront, après la Libération et en 1958 après sa « traversée du désert », les projets avancés par le général de Gaulle : renforcement de l’exécutif, restauration du droit de dissolution, retrait de l’initiative des dépenses à la Chambre des députés, recours au référendum. Il s’affirme pour l’interdiction formelle du syndicalisme des fonctionnaires. Le président du Conseil Doumergue reprend ces propositions dans des discours radiodiffusés en septembre et octobre 1934. Mais quelques semaines plus tard, la démission des ministres radicaux entraîne la chute du gouvernement et son successeur Pierre - Etienne Flandin abandonne ces projets