Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.
Lorsque j’ai été nommé directeur du cabinet en juin 1981, j’étais receveur divisionnaire des impôts honoraire depuis le Ier janvier de cette même année. J’avais, en effet pris ma retraite pour des raisons de convenances personnelles. Je remplissais les conditions d’âge et d’années de cotisations afférentes à ma carrière dans cette administration. Je me situais entre l’âge d’ouverture du droit à pension qui était de 55 ans en raison de mes années de « service actif » et la limite d’âge de la catégorie A qui était fixée à 65 ans.
Le montant de ma pension de retraite était égal à environ la moitié de ma dernière rémunération d’activité qui comprenait les primes substantielles versées aux comptables publics de ce niveau.
Pour des raisons de principe, je n’acceptais pas d’exercer bénévolement les fonctions de directeur de cabinet. Il fallait donc fixer le montant de ma rémunération spécifique. Saisi de cette question, le cabinet du Premier ministre, après examen approfondi de ma situation, a décidé, en accord avec le ministère des Finances auquel j’avais appartenu, d’établir un contrat.
Mais l’article L 86 du Code des pensions civiles et militaires interdisait pour une part essentielle le cumul d’une rémunération d’activité dans les services publics avec une pension de retraite de fonctionnaire lorsque l’intéressé avait pris sa retraite sur sa demande. Cette disposition apparaissait comme une sorte de « punition » infligée par l’Etat. A méditer dans le cadre des élucubrations qui accompagnent la réforme des retraites en cours.
Le contrat de cadre administratif qui m’était accordé impliquait donc l’interruption du paiement de la pension de retraite. Globalement je percevais une rémunération dont le montant était supérieur à ma retraite interrompue d’une somme inférieure au SMIG. Pour ce qui me concernait, la petite indemnité attribuée aux membres des cabinets étai en principe reversée au Parti. Dans des fonctions de responsabilité exigeant autour de quinze heures par jour et l’absence à peu près complète de loisirs, mon salaire horaire était inférieur à celui de ma femme de ménage.
Lorsque j’ai été nommé Conseiller d’Etat en service extraordinaire en novembre 1983 pour une durée de quatre ans, la question de ma rémunération était de nouveau posée. Elle a été examinée par les autorités compétentes pour aboutir au maintien de la suspension de ma pension de retraite, dont l’article L86 interdisait le cumul avec la rémunération fixée par un nouveau contrat du ministère des Finances.
La durée de ce contrat ne pouvait excéder trois années en application des dispositions que nous avions fait inclure dans la nouvelle version du statut général des fonctionnaires en vue de limiter le recrutement des personnels non titulaires (dont je reparlerai dans un prochain article). Mon mandat au Conseil d’Etat étant de quatre années, il était envisagé de le renouveler le moment venu pour l’année 1987.
Mais en février 1986, la droite a gagné les élections législatives et le ministère des Finances était occupé par Edouard Balladur, qui était lui-même un ancien Conseiller d’Etat. Cela n’a naturellement rien changé aux conditions d’exercice de mes fonctions.
Au début de 1987, j’ai constaté que mon contrat n’était pas renouvelé. Mes démarches auprès des services compétents du ministère des Finances se sont heurtées à un mur et je n’ai jamais pu obtenir ni explication ni décision explicite. Le cabinet de Balladur a fait du non renouvellement du contrat une situation de fait.
Les services du Conseil d’Etat, les membres de la section des Finances à laquelle j’appartenais, n’ont pas manqué de s’en étonner et certains de s’en indigner. Mais cela n’a débouché sur aucune intervention de nature à obtenir une décision positive. Paradoxalement, si ma nomination de 1983 était intervenue plus tard et si la fin de mon mandat s’était située au-delà de la limite d’âge de 65 ans, le cumul interdit par l’article L 86 serait devenu possible, ce qui montrait bien l’absurdité de cette disposition. La qualité de ma contribution à l’activité du Conseil d’Etat n’a jamais été contestée. Au contraire, elle a été explicitement reconnue en diverses circonstances et l’un de ses membres qui fut un proche collaborateur du général de Gaulle exprimait même le souhait qu’elle soit confirmée et prolongée par une nomination au tour extérieur (qui n’était pas possible en raison de la limite d’âge).
Deux personnalités avec lesquelles j’avais des liens d’amitié et d’estime (Henri Krasucki secrétaire général de la CGT et Guy Ducoloné vice président de l’Assemblée nationale) sont intervenus par lettre adressée à Edouard Balladur, qui n’a jamais répondu.
Il ne faisait aucun doute que le but de la manœuvre de son cabinet était de me conduire à une démission qui aurait libéré un poste de conseiller d’Etat en service extraordinaire convoité par un ami politique du pouvoir en place.
Je n’ai pas démissionné. J’ai fait rétablir ma pension de retraite et j’ai accompli mon devoir jusqu’au bout dans des fonctions qui ont été exercées bénévolement pendant la plus grande partie de 1987.
Je n’ai aucune rancœur. On me permettra peut-être d’éprouver du mépris à l’égard des personnalités qui sont actuellement sur la sellette… et de celles qui restent courageusement dans l’ombre en fumant peut-être des cigares aux frais du contribuable.