Dans un ouvrage de 685 pages consacré à la biographie de Maurice Thorez et de son épouse fondé sur des sources et une bibliographie riches et abondantes qui vient de paraître 1 trois pages évoquent l’œuvre accomplie au ministère de la fonction publique en 1946, en se référant à un discours d’anniversaire du statut général des fonctionnaires et à une lettre d’un membre du cabinet. Autant dire que dans le domaine qui nous intéresse ici, il n’y a pas grand-chose à commenter en dehors des notations qui suivront sur le « devoir d’obéissance ».
Pourtant, il faut s’arrêter un instant sur le fait qu’on trouve encore dans cet ouvrage l’affirmation selon laquelle « on a beaucoup reproché au parti communiste d’avoir, à la faveur du statut, tenté de noyauter la fonction publique. »
L’auteure cite un passage d’une lettre adressée à Maurice Thorez le 21 décembre 1946 par Max Amiot (un des membres les plus actifs du cabinet) où elle voit une confirmation que cette idée du noyautage « ne fut pas absente ». Max Amiot a écrit : « Je pense très modestement que ton œuvre à la vice-présidence, en tant que ministre chargé de la réforme administrative, aura considérablement servi les intérêts du parti ; grâce à l’autorité dont tu jouis er à la portée de la loi dont tu as obtenu le vote, notre pénétration dans la masse, jusqu’alors hermétique, des fonctionnaires se trouvera facilitée. » Et l’auteure ajoute qu’Amiot a assorti sa signature de la précision : « Membre n° 473 550 du PC ».
Je pense qu’il faut solliciter très fortement ce texte pour y voir une allusion à un « noyautage » de l’administration. Le témoin actif que j’étais dès cette époque a beaucoup de mal à y parvenir.
J’étais, comme Max Amiot plus âgé que moi de quelques années (dont j’avais été le voisin de chambre d’hôtel pendant mon stage à l’Ecole des Contributions indirectes) contrôleur de cette administration et militant du syndicat. Après la Libération, j’étais le secrétaire fédéral pour les Basses-Pyrénées, de l’Union de la Jeunesse républicaine de France issue de la transformation du mouvement de la jeunesse communiste auquel j’avais adhéré en 1936, à l’âge de 13-14 ans. Je m’intéressais aux informations concernant le cheminement du projet de statut et j’avais personnellement rencontré, à l’occasion des congrès, ses principaux acteurs syndicaux, notamment Jacques Pruja et aussi le député Jacques Grésa qui avait déposé le projet à l’Assemblée pour le groupe communiste. Nous appartenions tous au même syndicat national, dont je reparlerai car il a joué un rôle essentiel. Je me rappelle avoir confondu devant témoins le député socialiste de ma circonscription, lui-même fonctionnaire des finances, en mettant sous ses yeux une brochure éditée par le CDLP (Centre de diffusion du Livre et de la Presse) contenant le texte du statut accompagné des commentaires de Maurice Thorez (une brochure dont j’ai gardé un exemplaire et que pratiquement personne ne connaît aujourd’hui).
Il arrive que l’histoire se répète, et je n’ai pas besoin de rappeler que la deuxième fois, c’est une farce. En 1981, l’accusation de noyautage a été reprise par ce que le monde politique comptait de plus réactionnaire et André Bergeron faisait campagne contre la présence de ministres communistes dans le gouvernement de Pierre Mauroy. Il a suffi de rappeler que les communistes, (ou considérés comme tels selon les bonnes vieilles méthodes de « chasse aux sorcières ») occupant un poste élevé dans l’administration se comptaient sur les doigts d’une main pour réduire cette campagne à de saines proportions : un préfet, un recteur, trois ou quatre directeurs d’administration centrale. J’étais le directeur du cabinet du ministre de la fonction publique dont les membres étaient jugés « plutôt roses » par le cabinet du Premier ministre et le « rouge » était absent des cabinets des ministres socialistes. Au début de cette expérience une notice me concernant paraissait dans un ouvrage de Dominique Dagnaud intitulé « L’élite rose ». Il est vrai que j’étais présenté comme « un communiste de toujours ».
A propos de « noyautage », je suggère qu’on se souvienne de celui que l’on appelait le « NAP » (Noyautage des administrations publiques) qui se manifestait notamment par l’action des postiers, des agents des ponts et chaussées, des cheminots et d’autres agents publics contre les troupes d’occupation allemandes et leurs complices de Vichy. Mais c’est une autre histoire.
1 -Annette Wieviorka, Maurice et Jeannette, biographie du couple Thorez, Fayard, 2010.