Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.
Le rapporteur affirme que lorsque se sont ouvertes les discussions pour l’élaboration du statut des fonctionnaires en 1946, le mouvement syndical des fonctionnaires non seulement rejetait le principe d’un statut mais demandait une convention collective. Cette affirmation est également contraire à la réalité historique.
Au lendemain de la guerre de 1914-1918, le congrès de la fédération des fonctionnaires tenu en juillet 1919 a invité les associations qui la composaient à se transformer en syndicats « adhérents à la CGT ». Le congrès suivant, en mai 1920 a confirmé le processus engagé, alors que le gouvernement traduisait la centrale syndicale devant les tribunaux aux fins de dissolution et prenait un ensemble de mesures à l’encontre des syndicats de fonctionnaires : ordres de dissolution, annulation des détachements accordés à la fédération…( des précisions que l’on préfère oublier).
Une loi du 12 mars 1920 modifiait celle du 21 mars 1884 mais elle maintenait l’exclusion des fonctionnaires. Le nouveau projet de loi qui la suivait le 1er juin prévoyait un statut spécial qui était inacceptable, précisément parce qu’il consacrait cette exclusion. Dans le même temps, la jurisprudence du Conseil d’Etat confirmait de nouveau le caractère « illicite » des syndicats de fonctionnaires.
C’est dans ce contexte qu’un rapport a été présenté au congrès de 1920 par Michel Piquemal ( militant responsable du Syndicat des Contributions indirectes qui a joué un rôle de premier plan dans le syndicalisme des fonctionnaires) récemment élu secrétaire-général adjoint, proposant un projet de « contrat collectif » dont le principe figurait déjà dans le programme soumis aux candidats aux élections législatives de 1919.
Ce rapport, reproduit dans La tribune des fonctionnaires du 15 mai 1920, a été analysé de façon détaillée dans les ouvrages cités. Que demandait la fédération des fonctionnaires ? « Par analogie avec les salariés de l’industrie privée », elle réclamait « un contrat de travail qui règlera leurs relations avec l’Etat - employeur ». Il s’agissait de « contrats collectifs » conclus dans chaque administration avec le groupement professionnel représentant le personnel par application de la loi du 25 mars 1919 sur les conventions collectives qui prolongeait et consacrait la loi de 1884. Il s’agissait d’accords comportant un ensemble de principes généraux et de dispositions gérées par des « conseils professionnels « paritaires s’inspirant des comités Whitley existant en Angleterre.
Les « groupements professionnels » dont il était question, qu’ils aient revêtu la forme de l’association ou celle du syndicat, mais qui dans cette période se transformaient en syndicats malgré les interdits, se situaient dans tous les cas au niveau des ministères et administrations dans une structure marquant une correspondance avec les structures administratives. Le « Syndicat national » éventuellement doté de « sections départementales » est l’organisation de base du mouvement syndical des fonctionnaires dans tous les secteurs de la fonction publique de l’Etat, y compris l’Education nationale, à l’exclusion des fédérations des PTT regroupant les personnels par « catégories » dans des « syndicats départementaux ». La reconnaissance du droit syndical était et demeurait l’objectif essentiel du mouvement syndical des fonctionnaires, quels que soient les voies et moyens de son aboutissement. Le débat entre « statutistes » et « syndicalistes » était dépassé.
. L’argumentation propose une vision de la fédération des fonctionnaires dont les dirigeants auraient été des révolutionnaires dressés contre l’Etat considéré comme un « ennemi de classe », alors qu’il s’agissait en l’occurrence, non pas de l’Etat en général et des analyses que certaines fractions du mouvement ouvrier pouvait éventuellement en faire, mais de « l’Etat-employeur ». Toute l’histoire de la fédération des fonctionnaires s’inscrit en faux contre cette vision caricaturale (dans laquelle il n’est pas interdit d’apercevoir une certaine condescendance de classe à l’égard des responsables syndicaux). Elle est en contradiction avec ce que l’on sait des relations entre les gouvernements, les administrations et les syndicats de fonctionnaires et des rapports de forces au long de l’entre-deux-guerres.
Le refus du caractère « statutaire et réglementaire » du régime de fonction publique attribué aux responsables syndicaux ( et sur lequel nous reviendrons) n’a aucun rapport avec la réalité : ce régime est au-delà des mots une constante de toute l’histoire de la fonction publique.
Quant à la prétendue opposition fondée sur le refus d’une « inféodation à l’Etat », c’est une fable. Le tableau général des relations entre les gouvernements, les ministères et administrations et les organisations syndicales de fonctionnaires pendant l’entre-deux guerres offre une vision contrastée comportant à la fois des formes de coopération sur les questions relatives au recrutement, à l’avancement, à la discipline, les commissions compétentes pour les rémunérations et reclassements et des attitudes hostiles voire répressives. Après la victoire du Front populaire en 1936, les questions générales de la fonction publique ont été examinées par une commission consultative entre les représentants d’un gouvernement favorable à la reconnaissance du droit syndical et les représentants de la fédération des fonctionnaires. Dans les ministères et administrations des commissions fonctionnaient dans des conditions diverses. Mais on n’a pas abouti pour autant à l’adoption d’un dispositif général pouvant s’apparenter à un statut
A la veille de la Seconde guerre mondiale, la question d’une convention collective ou d’un contrat n’était plus d’actualité, et comme indiqué plus haut, la CFTC avait même directement inspiré une proposition de statut législatif.