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Des articles et des points de vue sur la Fonction Publique, le syndicalisme et la Commune de Paris.

Les projets de "statut spécial"

    Le rapporteur du Conseil d’Etat  présente comme une des causes essentielles de l’échec  des projets et propositions de statut présentés au long de la première moitié du XXe siècle, le rejet par les syndicats du  principe même d’un  statut considéré comme un carcan représentant une « inféodation à l’Etat ».

    Tous les travaux historiques menés sur ce sujet établissent que la caractéristique des  projets gouvernementaux (sauf pendant la période du Front populaire) était de rejeter le principe du droit syndical des fonctionnaires. Ils étaient même conçus dans cet esprit. Dans le même temps, la jurisprudence du Conseil d’Etat était maintenue. La revendication fondamentale du mouvement syndical des fonctionnaires étant de faire reconnaître le droit syndical, c’était  une raison suffisante de s’opposer à ces projets.

     Sans revenir en détail sur une histoire que le lecteur est invité à consulter dans les ouvrages cités, il convient de rappeler qu’en octobre 1906, Clemenceau s’étant engagé à déposer un projet de loi « assurant aux fonctionnaires la liberté de l’association professionnelle et les garantissant contre l’arbitraire »  le projet  déposé en 1907  interdisait la grève et l’accès aux Bourses du travail. Une quinzaine d’associations de fonctionnaires publiaient une « Lettre ouverte à Clemenceau » récusant ce  projet  et proclamant la volonté  de faire reconnaître les fonctionnaires comme des travailleurs jouissant de la plénitude de leurs droits. Clemenceau répliquait : « Aucun gouvernement n’acceptera jamais que les agents des services publics soient assimilés aux ouvriers  des entreprises privées, parce que cette assimilation n’est ni raisonnable ni légitime. Un contrat les lie à la nation. Leur place n’est ni à la Bourse du travail ni à la CGT. Leurs syndicats sont illégaux ». Le gouvernement engageait des poursuites contre les signataires, qui étaient révoqués.

    Est-ce-à-dire que les fonctionnaires étaient et se considéraient comme des travailleurs « comme les autres »  et voulaient leur être assimilés  comme le rapporteur  l’affirme? Peu importe -sous bénéfice d’inventaire- que des écrits de syndicalistes  de l’époque aient pu prêter à confusion. La position gouvernementale était ferme.  Mais celle des syndicats l’était aussi : ils ne  demandaient  pas une sorte d’assimilation ou d’alignement (ils disposaient par exemple d’un régime de retraite depuis le milieu du XIXe siècle alors que les premières retraites ouvrières  datent de 1909). Ils se considéraient comme des salariés (ce qui est économiquement et sociologiquement incontestable) et voulaient à ce titre bénéficier du droit syndical que le pouvoir, et aussi le Conseil d’Etat  (ce qu’on se garde bien de rappeler) refusaient obstinément.

    Mais l’histoire est un peu plus complexe. En 1908 était créé un Comité d’études des associations professionnelles des employés de l’Etat, des départements et des communes sous l’impulsion de Georges Demartial haut fonctionnaire du ministère des Colonies qui avait déjà publié une série d’articles. Ce comité, qui regroupait une trentaine d’associations publiait un « Projet de loi sur le statut et le droit d’association des fonctionnaires » et se substituait à une première fédération constituée en 1905, avant de céder la place en 1909, à une nouvelle fédération qui exprimera dans ses congrès son hostilité aux projets de « statut-carcan »  Au cours des années du début du XXe siècle, deux courants s’exprimaient  au sein du mouvement syndical et associatif des fonctionnaires : les « statutistes »,qui voulaient un statut et les « syndicalistes » qui s’opposaient aux projets présentés  et réclamaient l’application de la loi de 1884 aux fonctionnaires. Mais parmi les statutistes, on ne rejetait pas nécessairement  la reconnaissance du droit syndical.

      Encore une précision que ne donne pas le rapporteur  probablement parce qu’elle contribuerait à infirmer sa théorie : à la veille de la Seconde guerre mondiale, en 1937,  le député Reille-Soult a déposé  un projet  législatif de statut des fonctionnaires s’inspirant des propositions de la CFTC.

     Une dernière proposition émanant du sénateur Jacques Bardoux, tout aussi restrictive que les précédentes, a également été déposée. Mais aucun texte ne fut  inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Le projet élaboré par une « mission des fonctionnaires »  constituée dans le cadre d’un « Comité de la Hache », achevé  au cours de l’été 1939, aurait certainement rencontré le même accueil hostile des syndicats s’ils en avaient  été saisis.

     Une constante a  dominé  jusqu’au bout cet ensemble de contradictions, d’avancées et de retours en arrière : le refus du Conseil d’Etat de reconnaître le droit syndical des fonctionnaires et sa volonté de régir l’ensemble des questions concernant la fonction publique.

     Ce rappel des faits montre qu’au long de cette longue période, le mouvement syndical rejetait les projets de statut parce que ces derniers étaient conçus, selon les conceptions autoritaires de l’Etat, pour consacrer le refus du droit syndical.

 

 

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