J’ai lu dans une publication d’histoire sociale dont je ne dirai pas le titre, un article d’un auteur dont je ne donnerai pas le nom, intitulé « Feu sur la classe ouvrière » qui se présente comme « un retour sur trois périodes agitées » et dont le dernier chapitre d’une cinquantaine de lignes traite « La CGT dans la guerre froide ».
Il se trouve que le sujet évoqué dans cet article a fait l’objet dans le tome 2 de mon ouvrage « Fonctionnaires sujets ou citoyens », d’une Première partie intitulée « De la scission syndicale à la fin de la IVe République » comprenant six subdivisions (pages 11-125) : Les lendemains de la scission syndicale (1945-1949) - Luttes pour le minimum vital, la paix, les libertés(1949-1951) -L’ère des « complots » (1951-1953) -Les grandes grèves d’août 1953 et leurs suites (1953-1954)-L’époque des « rendez-vous » (1954-1955) -Du gouvernement du « Front républicain » à l’agonie de la IVe République (1956-1958) - Regard sur la décennie 1948-1958.
Il s’agit, en l’occurrence, d’une période que j’ai directement vécue comme un témoin et un acteur exerçant des responsabilités politiques et syndicales dans les Basses-Pyrénées (aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques) puis au plan national.
« Mémoire » et « Histoire » peuvent ainsi joindre leurs effets.
Si on se réfère à mes réflexions des derniers mois, on comprendra que je ne m’étonne pas que mon ouvrage ne figure pas dans les huit notes de référence qui accompagnent l’article cité, ni qu’aucune d’entre elles ne s’applique à cette période.
Mon propos est une occasion d’apporter quelques précisions sur un sujet toujours éludé ou méconnu sans la moindre explication : la relation du mouvement syndical des fonctionnaires et de ses militants avec les instances confédérales de la CGT et leur rôle original dans l’histoire politique et sociale.
Alain Le Léap (qui écrira plus tard la préface de mon ouvrage) n’était pas simplement -comme il est dit - secrétaire général de la CGT. Ancien secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires à sa création en 1946, il était « co-secrétaire général » aux côtés de Benoit Frachon (deux précisions qui ne sont pas anodines). Il était aussi vice-président de la Fédération syndicale mondiale et du Conseil mondial de la paix. Ainsi prend, en effet, tout son sens cette autre précision donnée page 60 de mon ouvrage selon laquelle le 29e congrès de la CGT qui s’est ouvert le 7 juin 1953 « ratifie et confirme la désignation de Léon Rouzaud, secrétaire général de l’UGFF et membre de la CA de la CGT et celle d’André Lunet comme adjoints au bureau confédéral « jusqu’au moment où les camarades emprisonnés ou poursuivis pourront reprendre place parmi nous ». Léon Rouzaud, qui avait aussi exercé des responsabilités mutualistes, sera le secrétaire général du prestigieux Syndicat national des Indirectes (dont je serai un des secrétaires à ses côtés en 1958-1962). Il tint une place notable dans les grands débats confédéraux sur le programme économique de la CGT et sur l’unité syndicale dans lesquels Henri Krasucki était souvent rapporteur.
J’aurais pu mentionner par ailleurs des anecdotes telles que la visite de mon épouse Henriette à Alain Le Léap emprisonné à Fresnes, pour lui apporter le soutien de l’Union des Femmes françaises.
Mon texte cite des personnalités telles que Jean Baylot, préfet de la Seine qui interdisait les manifestations commémoratives des journées de février 1934 (et fut le préfet de mon département des Basses-Pyrénées à la Libération) avec cette mention : « Baylot était avant-guerre, un dirigeant de la fédération réformiste des PTT. Sur ce personnage peu recommandable, voir Georges Frischmann, Histoire de la Fédération des PTT, Editions sociales 1969 ».
Il mentionne d’autres personnages que tout le monde a probablement oubliés, mais que les fonctionnaires de cette époque ont subi, tel Guy Petit, secrétaire d’Etat éphémère et très répressif de la Fonction publique (que j’avais incidemment eu l’occasion de remettre à sa place en ma qualité de rédacteur chargé du contentieux à la direction départementale des Contributions indirectes à Pau, alors que député-maire de Biarritz il intervenait pour soutenir un délinquant fiscal).
Le temps s’écoule aussi pour les nouvelles générations dont tout permet de penser qu’elles restent largement indifférentes à l’histoire politique et sociale et dont l’immense majorité n’est pas « syndiquée ». Les historiens et « observateurs » qui auront plus tard en charge la période actuelle - dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est « agitée » par des enjeux d’une ampleur exceptionnelle - seront particulièrement gâtés.