Le mardi 5 avril 2011, par un vote en séance publique, l’Assemblée nationale a autorisé, conformément à l’article 51, alinéa 3 du Règlement, la publication de comptes rendus manuscrits de trois séances du Conseil législatif du Second Empire qui se sont tenues en « comité secret » au Palais Bourbon les 13, 25 et 26 août 1870, et d’une séance de l’Assemblée nationale de la République siégeant au château de Versailles le 22 mars 1871.
Selon les indications données par le président de l’Assemblée nationale, ces documents étaient conservés dans un coffre-fort, dans les sous-sols de l’Assemblée, mais « n’avaient jamais été perdus » et « figuraient sur les inventaires ».
Une précision importante n’a pas été donnée dans les commentaires de presse : ces documents sont explicitement mentionnés dans le Guide des sources de la Commune de Paris et du mouvement communaliste (1864-1871)1 ( page 179 pour les comités secrets d’août 1870 (dossier XII/1) et page 180 (dossier XV/3) pour le comité secret de mars 1871).
Un professeur spécialiste de la guerre de 1870 a été chargé d’un travail de recherche consistant à « transcrire, présenter, annoter, contextualiser » ces documents, qui seront intégralement publiés en novembre 2011.
Le moment venu, il conviendra de prendre connaissance de cette publication et de la soumettre, comme toute œuvre de recherche historique, à un examen critique.
Dans l’immédiat, on peut s’en tenir, comme cela a été fait dans quelques présentations de presse, à évoquer les éléments essentiels de cette affaire.
Les séances d’août 1870 se tenaient entre les premières défaites de l’armée française et le désastre de Sedan, la déchéance de l’Empire et la proclamation de la République. La séance du 22 mars 1871 se tenait alors que le gouvernement et l’Assemblée élue le 8 février avaient quitté Paris pour siéger à Versailles, la Garde nationale ayant pris en mains les affaires de la capitale et préparé l’élection de l’assemblée de la Commune de Paris qui devait avoir lieu le 26 mars.
Ces délibérations avaient lieu en « comité secret ». Elles avaient donc un caractère exceptionnel. La publicité des débats parlementaires est, en effet un principe énoncé par la Révolution française, et il faut savoir que l’assemblée de la Commune de Paris elle-même n’a pas échappé à des discussions et à des controverses sur cette question. Pourtant, les assemblées ont toujours eu la faculté de délibérer en « comité secret », c’est-à-dire à « huis clos » selon une réglementation stricte, lorsqu’on estimait que les circonstances l’exigent, particulièrement dans les périodes de guerre ou de troubles graves. Cela s’est produit en 1870-1871, en 1916-1917 et en 1940. Aucun « comité secret » n’a siégé sous les IVe et Ve Républiques. Quant à la publication de ces débats – qui est à l’évidence un autre aspect du problème- elle est soumise à l’autorisation de l’Assemblée.
Il n’est nul besoin de longs développements pour comprendre la motivation des séances exceptionnelles de 1870-1871. Elle apparaît dans leur énoncé et se confirmera dans le contenu qui sera publié en novembre : dans le contexte de la déroute de l’armée française, des derniers jours du Second Empire, de la révolte du peuple parisien prenant ses affaires en mains, les responsables ministériels et parlementaires tels que Adolphe Thiers, Jules Ferry, Jules Grévy, Léon Gambetta ou Georges Clemenceau entendaient soustraire les questions les plus délicates au débat public.
La découverte de documents secrets ne manque pas d’intérêt en cette période de commémoration du 140e anniversaire de la Commune de Paris, épisode important de notre histoire nationale et de celle du mouvement ouvrier international. Elle contribuera peut-être à éclairer le fait que ces événements furent le résultat d’une rencontre entre quatre éléments : la résistance patriotique du peuple de Paris à la capitulation devant les armées prussiennes, sa volonté de sauvegarder la République face aux visées de restauration monarchique, sa revendication de l’autonomie communale, l’aspiration du prolétariat parisien à la démocratie sociale.
1- Guide des sources de la Commune de Paris (1864-1880), La Documentation française, 2007.
Utiles précisions sur le Guide des sources de la Commune
Dans l’article consacré aux « comités secrets « de la guerre de 1870 et de la Commune de Paris, il est indiqué que les commentaires de presse n’ont pas fait état de certaines précisions : non seulement les documents que l’on découvre aujourd’hui n’ont jamais été perdus et figuraient - comme le président de l’Assemblée l’a indiqué - dans les inventaires de l’Assemblée nationale, mais ils sont explicitement mentionnés dans le Guide des sources de la Commune de Paris et du mouvement communaliste (1864-1871.)
C’est une lacune de l’information que d’aucuns estimeront peut-être anecdotique, mais que j’ai personnellement de bonnes raisons de considérer autrement.
Après avoir consacré plusieurs ouvrages à la Commune de Paris, j’ai pris l’initiative de la création en 2001 d’une « équipe scientifique » au sein de l’association des Amis de la Commune pour l’élaboration de ce guide qui sera réalisé avec le concours de la direction des Archives de France et le soutien de la Ville de Paris et publié en septembre 2007 à la Documentation française,
Pour parvenir à ce résultat, il a fallu vaincre une incroyable accumulation d’obstacles de toutes sortes. Je regrette qu’il soit encore nécessaire aujourd’hui d’informer les analystes et commentateurs de son existence.
La reproduction ci-après des extraits du Guide qui mentionnent les comités secrets est une occasion de rappeler que ce gros volume de 736 pages ( qui couvre une période d’une quinzaine d’années encadrant les 72 jours de la Commune) analyse et présente de façon quasi-exhaustive les fonds d’archives conservés dans les bibliothèques, musées, institutions et services d’archives publics et privés de Paris et de la région Ile-de-France. Il a l’originalité d’être accompagné de la mise en ligne sur le site internet www.commune1871.org des bases de données relatives aux dossiers individuels de communards référencés au Département de l’armée de terre du Service de la Défense, aux Archives nationales et à la préfecture de police.
Faut-il s’étonner que Bertrand Delanoë, maire de Paris, après avoir indiqué dans la préface qu’il est « le résultat d’un long travail et d’une véritable aventure », ait estimé qu’il est «une œuvre de science qui offre aux historiens un outil de travail exemplaire » et que Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de France, ait salué dans l’avant-propos : « le fruit d’un travail de très grande envergure » ?
Extraits concernant les « comités secrets »
X/5 Comité secret du 12 mars 1968 sous la présidence du baron Jérôme David. Examen d’une demande de poursuites judiciaires contre Le Figaro.
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XII/1 Comité secret (originaux des comptes rendus sténographiques) : comité secret du 13 août 1870 – organisation de la défense nationale – 2 enveloppes contenant feuillets (compte rendu incomplet) ; comité secret du 13 août 1870 pour la discussion d’initiative, sur la proposition de MM. J. Favre, Gambetta et autres députés relative à la nomination d’un comité exécutif de défense choisi dans le sein du Corps législatif (compte rendu in extenso) ; comité secret formé le 25 aout sur la demande de M. Gambetta pour l’examen de la situation militaire (compte rendu in extenso) ; comité secret formé le 26 août 1870 pour entendre les observations de M. Jules Ferry sur l’armement de la population de Paris ( compte rendu in extenso).
Page 179
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XV/ 3 Comité secret du 22 mars 1871 (Commune) compte rendu du comité secret sur les « événements qui ensanglantent la capitale depuis le 18 mars 1871 à la suite de l’installation des canons dans Paris et le départ du gouvernement pour Versailles » (Annales p 54) ; épreuves sténographiques ; procès verbal original analytique original de la séance.
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