La conclusion de Fonctionnaires sujets ou citoyens ?
Le syndicalisme de la scission de 1947-1948 à 1981
Editions sociales Notre temps /société, 1981, 378 pages
Cette conclusion du tome II de l’ouvrage mis sous presse en mai et publié en juin 1981 avait été rédigée en avril. Fin juin, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, la dissolution de l’Assemblée nationale et les élections législatives, j’étais nommé directeur du cabinet d’Anicet Le Pors, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la Fonction publique et des réformes administratives dans le gouvernement de Pierre Mauroy. Une politique de réformes débouchant sur une nouvelle version du Statut général des fonctionnaires allait s’engager.
O
en conclusion :
un puissant mouvement des fonctionnaires, le plus sûr garant de l'avenir...
« La position des fonctionnaires publics peut et doit même en plusieurs circonstances, leur faire interdire ce qui est licite à d’autres… »
« Le fonctionnaire est homme de silence. Il sert, il travaille, il se tait… »
Un siècle et demi sépare ces deux formules. La première est de Théophile Berlier, comte du Premier Empire, la seconde est de Michel Debré, un des dignitaires de la Ve République, père de l’Ecole nationale d’administration.
La bourgeoisie française a toujours voulu que les fonctionnaires soient des « sujets ».
C’est le grand mérite du syndicalisme – des pionniers bravant la vindicte du pouvoir dans les dernières décennies du XIXe siècle aux militants d’aujourd’hui – d’avoir lutté sans trêve pour que les fonctionnaires soient des « citoyens ».
Au début du siècle, la lutte est rude pour imposer le droit syndical des agents de l’Etat, combattu par Clemenceau le « briseur de grèves », soutenu par Jean Jaurès et Anatole France. Le plus grand des titres de noblesse, pour le syndicalisme des fonctionnaires, c’est d’avoir forcé les barrages à sa présence et à son action, d’avoir conquis de haute lutte son droit à la vie reconnu de facto par le Cartel des gauches en 1924, consacré dans la loi par le Statut général au lendemain de la lutte patriotique contre l’occupant hitlérien.
Jamais les hommes qui ont milité dans le mouvement syndical des fonctionnaires n’ont cédé devant les campagnes haineuses contre les « budgétivores » des réactionnaires de tout poil, qu’ils s’affublent du masque de la « Ligue des contribuables » dans l’entre-deux-guerres, de celui du « Poujadisme » dans les années 1950, ou à toutes les époques, des élucubrations intéressées des nantis et de leurs valets sur « le train de vie de l’Etat.
De la formule de Berlier à celle de Debré, il y a la longue litanie des maîtres de la finance, des politiciens démagogues, les amères illusions semées par des hommes de gauche faisant une politique de droite.
Mais ce chemin est jalonné de luttes pour la vie, pour la dignité, pour le bien public, animées par un mouvement syndical très longtemps dominé par le réformisme, mais se frayant la voie vers une conception de lutte de classes, un mouvement syndical dont toute l’Histoire est traversée par la recherche passionnée de la solidarité de destin avec la classe ouvrière.
Les fonctionnaires ont acquis dans les combats du peuple français pour les libertés, la paix, le progrès social, dans les luttes pour une Administration au service de la nation, pour la défense de leurs intérêts de salariés et de citoyens, une riche expérience.
Certes, quelques ombres voisinent avec ces lumières. Ce syndicalisme a secrété des dignitaires et des politiciens qui ont oublié les engagements de leur jeunesse et ont même utilisé leurs anciennes fonctions syndicales comme un tremplin pour leurs ambitions.
Mais l’histoire sociale reconnaîtra les siens. Il reste, et là est l’essentiel, que la France est le seul des grands pays capitalistes développés où les agents de l’Etat se soient donné, avec la CGT, un mouvement syndical fondant son action sur les conceptions de classe, largement représentatif, dressant le barrage au « consensus social » désespérément recherché par les tenants du vieux monde, tenant toute sa place dans la lutte pour une autre société, pour le socialisme.
En ces temps difficiles mais exaltants, puissent les jeunes générations ne jamais oublier la leçon de l’Histoire : un puissant mouvement des fonctionnaires est le plus sûr garant de leur avenir.
Paris, avril 1981.