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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 18:25

     Beaucoup de commentateurs de «  l’affaire Cahuzac » mettent en évidence la question de la « morale » et comme d’habitude dans  un  pareil concert, un certain nombre de réflexions pertinentes voisinent avec des  élucubrations.

 

     Pourquoi m’interdirais-je de reprendre ici un extrait de mon ouvrage « 72 jours qui changèrent la cité. La Commune de Paris dans l’Histoire des services publics », publié en   2001 au Temps des cerises,  sous le titre « La morale révolutionnaire » ?

                                                              LA  « MORALE REVOLUTIONNAIRE »

…     L’honnêteté des communards est un fait reconnu. Même les auteurs les plus hostiles conviennent que les tentatives de corruption menées par les Versaillais (ce qui soit dit en passant  montre la véritable nature de ces derniers) ont été pratiquement vouées à l’échec. Dès le 24 mars, le Comité central dénonçait « les nombreux agents bonapartistes et orléanistes surpris faisant des distributions d’argent pour détourner les habitants de leurs devoirs civiques »  et  donnait cet avertissement :« Tout individu convaincu de corruption ou de tentative de corruption sera immédiatement déféré au Comité central de la Garde nationale". »

     Il faut  rappeler à ce propos que le 22 mars 1871, E.de Royer, premier président de la  Cour des comptes, avait pris un arrêté confirmant, après avis des présidents des trois chambres, la décision du gouvernement de Versailles de suspendre les séances de cette institution. En mentionnant cet arrêté dans la partie « non officielle » du JO du 2 avril, la Commune ironisait sur le zèle intempestif de ces magistrats (parmi lesquels le comte de Casabianca, procureur général, dont le lourd passé dans l’entourage de l’Empereur était opportunément rappelé), alors que le ministre des finances de Versailles lui-même les autorisait à « continuer les travaux de cabinet ».

    La Commission des Finances de la Commune, qui avait la responsabilité principale de la collecte des recettes et de la réalisation des dépenses, a géré les finances au grand jour. Elle a régulièrement publié au JO les tableaux détaillés de mouvements de fonds, et en a organisé le contrôle. Une Commission supérieure de comptabilité, composée de quatre comptables nommés par la Commune, devait opérer la vérification générale des comptes des différentes administrations et  présenter un rapport annuel (décret au J.O. du  20 mai).  

    Le paiement des soldes des gardes nationaux, qui représentait une part essentielle des dépenses de la Commune, fit l’objet de mesures  strictes d’organisation, de contrôle et de transparence. Dans chaque bataillon, des officiers payeurs élus opéraient au vu des états dressés par un sergent-major, visés par le capitaine, sous le contrôle d’un conseil d’enquête présidé par le chef de bataillon (JO du 7 avril). La transparence était garantie par la publication régulière  au JO de tableaux des remboursements opérés par les payeurs de la Garde nationale. Quant au  contrôle et à la répression des détournements, ils étaient assurés par des services spéciaux, des contrôleurs des finances, un service à l’administration centrale. De nombreux avis publiés au JO attestaient la vigilance des responsables de la Commune à l’égard de tous les abus pouvant être constatés dans les bataillons de la Garde nationale. Par exemple, la délégation aux Finances rappelait dans une note insérée au JO du 16 avril que l’indemnité mensuelle de 100 f par bataillon et de 10 f par compagnie de la Garde nationale devait suffire pour couvrir les frais, et que les exigences de certains chefs de bataillon tentant d’obtenir des officiers payeurs des sommes supplémentaires devaient être rejetées.

      Une commission d’enquête fut chargée dans chaque arrondissement de la mise en œuvre du décret communal portant création de pensions à fournir aux veuves et aux enfants des gardes nationaux tués au service de la Commune de Paris et une commission communale  devait centraliser les résultats.

    Une note relative aux versements des taxes sur les halles et marchés (J0 du 4 avril) précisait que « seront poursuivis comme concussionnaires ceux qui auraient détourné une partie quelconque des ressources de la Commune.» (cette disposition était manifestement inspirée par les trafics constatés dans  ce secteur sous le Second Empire).

    L’arrêté du Délégué à la Guerre (JO du 29 avril), remplaçant l’Intendance générale à compter du 1er mai par  un payeur général,  un directeur pour chacun des secteurs et un inspecteur général, prévoyait une commission de contrôle chargée de vérifier les comptes.

    Un décret  (J.O. du 20 mai)  prescrivait que tous les fonctionnaires ou fournisseurs  accusés de concussion, déprédation, vol, seront traduits devant la Cour martiale, la peine prévue dans ce cas étant la peine de mort. Ce texte indiquait : « aussitôt que les bandes versaillaises auront été vaincues, une enquête sera faite sur tous ceux qui, de près ou de loin, auront eu le maniement des fonds publics. »

    Jourde et Varlin exigeaient de toutes les administrations la rigueur financière, et luttaient contre les gaspillages, contre la dilapidation des fonds publics.

    Les faits attestant  l’honnêteté des gestionnaires communaux abondent. Par exemple, un  rapport présenté en 1880 au conseil  municipal de Paris  reconnaîtra que « l’argenterie livrée à la Commune a été exactement fondue à la Monnaie ; aucune pièce n’en a été détournée. »  Le geste de l’épouse de Camille Treillard rapportant à l’Assistance publique, le lendemain même de l’exécution sommaire de son mari pendant la « Semaine sanglante », une somme de 37.440 f représentant le reliquat de sa gestion, est un véritable symbole de  droiture.

    Divers arrêtés des autorités de la Commune reflétaient quelques problèmes  d’ordre et de discipline : le délégué à la Guerre prévenait le public que toute réquisition sans ordre écrit revêtu du timbre de la Délégation était illégale, et appelait la Garde nationale à prêter main forte pour arrêter tout individu qui agirait sans mandat régulier. (JO du 16 avril). Il demandait aux chefs de légion et de bataillon et aux municipalités de sévir contre les gardes nationaux qui revendaient leurs équipements, « propriété du peuple » (JO du 4 mai).Des gardes nationaux appartenant au 248e bataillon qui avaient violé les locaux de la Légation de Belgique, furent arrêtés pour être traduits devant un conseil de guerre (JO du 17 avril).Une note du  service des Postes (J.O. du 21 mai) constatant  que des candidatures de citoyens âgés de 19 à 40 ans  avaient pour but de se soustraire au service de la Garde nationale indiquait  que ces demandes ne seraient plus acceptées, mais que celles des citoyens âgés de16 à 19 ans seraient prises en considération. Il est même arrivé que la Sûreté générale procède à l’arrestation d’un membre de la Commune qui siégeait sous un faux nom (Blanchet) et qui avait été précédemment condamné à la prison pour banqueroute frauduleuse. La Commune a entériné cette opération dans sa séance du 5 mai (JO du 6 mai).

      La « morale révolutionnaire » ne se bornait pas  à une gestion financière scrupuleuse et à la discipline. Elle s’exprimait aussi dans divers domaines de la vie de la cité, et dans le respect de certains principes.

     L’affiche « mort aux voleurs », l’interdiction des jeux de hasard, la fermeture des maisons de tolérance, la répression de l’ivresse, s’inscrivaient dans cette orientation «  morale »  de la Révolution, ainsi que le montrent notamment ces arrêtés insérés au JO le 11 et le 19 mai par les délégués de la Commune dans le 11e et le 14e arrondissements : le premier invitait les commissaires de quartier et la Garde nationale à « arrêter et mettre en détention toutes les femmes de mœurs suspectes exerçant leur honteux métier sur la voie publique, ainsi que les ivrognes qui, dans leur passion funeste, oublient et le respect d’eux-mêmes et leur devoir de citoyen. » Le second, constatant que « la prostitution sur la voie publique prend des proportions considérables…» et que « l’ivrognerie est un vice dégradant… », invitaient eux aussi les commissaires et la Garde à veiller à la « morale publique ». Quant aux limonadiers ou marchands de vin servant des individus en état d’ivresse, ils étaient passibles d’une amende versée à la caisse de l’assistance communale, doublée en cas de récidive, la maison étant fermée à la troisième incartade.

      Remarquons pour l’anecdote que l’action des services conduisait parfois à des « trésors » : « Il a été trouvé dans des caves officielles une certaine quantité de vins fins » révélait  un avis au JO du 17 avril,  précisant qu’ils avaient été apportés selon la règle, au ministère du Commerce. Gageons que les communards n’ont pas commis « l’erreur » (encore une) de ne pas boire un coup « à la santé » des Versaillais ! D’ailleurs, selon le journal  Le Père Duchêne  qui ne crachait pas sur la « chopine », on aurait distribué des bouteilles de vin saisies au palais des Tuileries dans les ambulances et les hôpitaux. Ce qui donnera aux directeurs restés en poste une occasion supplémentaire de gloser sur « l’ivrognerie » des fédérés dans leurs rapports ultérieurs aux autorités administratives.

 

 

 

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Eléments biographiques

   En un demi siècle, j'ai fait "le tour de la table" de la politique de la fonction publique comme syndicaliste, directeur de cabinet du ministre, conseiller d'Etat en service extraordinaire, auteur d'ouvrages.

 

  Né le 2 décembre 1922 à Jurançon (Pyrénées-Atlantiques)

 

-Fonctionnaire

 Receveur divisionnaire des Impôts honoraire

 

-Dirigeant national du mouvement syndical des fonctionnaires (1958-1978)

  Secrétaire du Syndicat national des Contributions indirectes 1958-1963

  Secrétaire général de la Fédération des finances CGT 1963-1970

  Secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF) et

  Membre du conseil supérieur de la fonction publique 1970-1978

  Membre de la commission exécutive de la CGT 1969-1975.

 

  Membre du conseil d’administration de l’Institut CGT d’histoire sociale.

 

-Directeur du cabinet du ministre de la fonction publique et des réformes administratives  (juin 1981-novembre 1983).

 

-Conseiller d’Etat en service extraordinaire (novembre 1983-novembre 1987).

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