Aujourd’hui, l’histoire du syndicalisme des fonctionnaires, qui est tout à la fois une branche majeure de l’histoire confédérale dans les périodes d’unité ou de division, un des vecteurs essentiels de l’évolution des relations entre syndicalisme et politique et des rapports entre tendances, au cœur des conceptions de l’Etat, des institutions …( et pas seulement l’histoire d’une « branche professionnelle ») est éludée à la fois par l’Institut CGT d’Histoire sociale et par les organisations du mouvement syndical des fonctionnaires (dans lesquels j’ai exercé des responsabilités à tous niveaux et dont je partage les idéaux) et par les historiens et politologues universitaires (dont je ne fais pas partie) qui s’emploient avec un certain succès à occuper les premiers rôles.
Fidèle à mon « parcours », et à une appartenance syndicale sans défaillance au syndicalisme des Finances publiques, je suis pleinement solidaire de ceux qui luttent.
En ma qualité d’acteur, témoin et auteur de l’histoire politique et sociale (dont chacun est libre d’apprécier la portée mais dont la réalité ne peut être ignorée comme c’est le cas depuis des années) je suis indigné par une situation contraire aux intérêts fondamentaux dont le mouvement social s’honore d’être le défenseur et qui est aussi, à mes yeux, une sorte de rupture avec certaines traditions de la recherche et du débat d’idées.
I - Sur les traces des pionniers…
Une certaine réflexion sur le syndicalisme des fonctionnaires et son Histoire s’inscrit dans une longue période de plus d’un siècle. Déjà en 1908 paraissait un ouvrage de J. Jeanneney intitulé « Associations et syndicats de fonctionnaires »
En 1938, une petite brochure (format 10 x 15) reproduisait une conférence de Charles Laurent, qui fut secrétaire général de la Fédération des fonctionnaires pendant trente-sept ans, de 1909 à 1946, sur Le syndicalisme des fonctionnaires, Aperçu historique, présentée dans une série d’histoire syndicale sous les auspices de l’Institut supérieur ouvrier. Le CCEO publiait un texte de Le Clère sur « Le syndicalisme des fonctionnaires »…
Dans les années 1950, un dépliant intitulé L’Histoire du syndicalisme fonctionnaire était édité par Les Cahiers du Nouveau Réveil des Indirectes avec une Introduction d’André Berteloot secrétaire général de l’UGFF. Ce texte se référait aux travaux d’histoire syndicale de Michel Piquemal et Jacques Pruja, illustres devanciers du Syndicat des Indirectes.
En 1969 le grand livre de référence était « La Fonction publique et ses problèmes actuels » de Victor Silvera, professeur de droit, dont le premier chapitre était un « Aperçu historique de l’évolution du droit de la fonction publique » et les trois derniers une étude du contentieux et de la jurisprudence.
Dans les années 1970 des textes étaient publiés, notamment par des juristes, Yves Saint-Jours (« Les relations du travail dans le secteur public ») Marcel Piquemal (« Le fonctionnaire. Droits et garanties », Préface de Jean Kahn Conseiller d’Etat) des administrateurs civils en fonctions à la Direction générale de la Fonction publique en contact direct avec les représentants des fédérations générales de fonctionnaires Pierre Robert-Duvilliers et Jean-Marie Pauti (« Rémunérations et avantages sociaux dans la fonction publique »).
Jeanne Siwek-Pouydesseau, directeur de recherches, que nous retrouverons plus tard, avait déjà publié en 1970-1971 une étude concernant l’élaboration et l’adoption du statut général des fonctionnaires en 1946.
Postiers et enseignants apportaient une contribution spécifique. Georges Frischmann, secrétaire général de la fédération des PTT, a publié en 1967 une Histoire de la Fédération des PTT qui sera rééditée en 2011 et suivie d’un tome II rédigé par 22 auteurs. Des syndicalistes du monde enseignant se sont exprimés tels M. Ferré en 1925 sur L’histoire du syndicalisme révolutionnaire des instituteurs, Paul Delanoue en 1973 (Les enseignants) Robert Cheramy en 1974 (La FEN, 25 ans d’unité syndicale) Henri Aigueperse en 1977 (100 ans de syndicalisme).
Les militants issus des organisations syndicales des administrations financières (Caisse des dépôts et consignations, Contributions directes et indirectes, Douanes, administration centrale…) étaient aux avant-postes de l’implantation du mouvement syndical des fonctionnaires puis d’une certaine diffusion de son Histoire dans leurs publications régulières. Parmi eux, Jean-Yves Nizet, secrétaire général du Syndicat de l’Enregistrement, dont les travaux sur la fiscalité et le rôle dans la campagne de la fédération des Finances des années 1965 pour l’allègement des impôts frappant les salariés que j’animais en qualité de secrétaire général de la fédération et que Benoît Frachon saluait solennellement au congrès confédéral.
Ainsi, pour s’en tenir aux ouvrages traitant spécifiquement le mouvement associatif puis syndical des fonctionnaires et sans mentionner les textes déjà nombreux qui étudiaient les questions relatives à la fonction publique et à l’administration, la bibliographie comptait quelques pionniers.
Je les connaissais, j’avais rencontré certains d’entre eux, et je comptais quelques proches amis. Presque tous ces auteurs ont disparu depuis longtemps. La meilleure façon de leur rendre hommage est de ne pas enterrer leurs travaux et de respecter les réalités historiques. La longue tradition du mouvement ouvrier, c’est aussi cela.
II - Deux décisions marquantes
Que cela plaise ou non à certains, ma décision de mettre un terme en juin 1978 - alors âgé de 55 ans - aux mandats de secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF- CGT) que j’exerçais depuis décembre 1970, après ceux du Syndicat national des Indirectes (1958-1962) et de la Fédération des Finances (1962-1970) était un acte personnel mûrement réfléchi.
Il impliquait mon retour dans une administration très différente de celle que j’avais quittée, et deux adaptations successives aux fonctions de directeur divisionnaire à la Direction de la Garantie et des services industriels à Paris, puis de receveur divisionnaire des impôts du département de l’Aisne. J’étais à dix ans de la « limite d’âge » de mon corps de catégorie A.
Cet acte répondait à mon attachement à la conception de mandats syndicaux renouvelables à durée limitée. Il était annoncé un an à l’avance et accompagné d’une proposition de méthode inédite (qui sera plus ou moins correctement mise en œuvre par ceux qui en auront la charge) pour la recherche de mon successeur, caractérisée par le rejet des systèmes de cooptation et de promotion fondés sur des équilibres discutables de « courants de pensée » et plus clairement « communistes - non communistes » où « démocratie » et « indépendance » syndicales avaient du mal à se frayer un chemin. C’était il y a quarante ans, dans un contexte politique très différent à tous égards de celui d’aujourd’hui.
- Cet acte s’accompagnait d’une autre décision (chaleureusement approuvée par Henri Krasucki qui en analysera la réalisation et en soulignera la portée dans des termes qui restent novateurs) celle d’engager une étude aussi approfondie que possible de l’histoire du syndicalisme des fonctionnaires et de sa relation avec le syndicalisme confédéré.
J’avais douloureusement vécu les ravages d’une certaine ignorance non exempte de mauvaise foi à l’occasion de la crise des années 1975, qui avait été surmontée par un débat démocratique sans précédent faisant échec à des méthodes autoritaires (dont l’analyse rencontrera encore d’innombrables obstacles au long des décennies suivantes ( cf mon ouvrage numérique« Fonctionnaire-citoyen.Syndicaliste-historien » traitant mon « parcours » sur Calaméo).
J’avais ressenti l’intérêt d’une telle étude lors de la commémoration en 1976 du 30e anniversaire du statut général des fonctionnaires dont j’avais pris l’initiative avec les fédérations des PTT et des Services publics et de santé sous la présidence de Georges Séguy et la participation de Jacques Pruja, Alain Le Léap, Léon Rouzaud, Pierre Meunier, personnalités qui avaient tenu les premiers rôles dans l’adoption du statut en 1946 et dans sa sauvegarde face aux « révisionnistes ».
Le premier tome de mon ouvrage Les fonctionnaires sujets ou citoyens ? qui traitait le syndicalisme des origines à la scission de 1947-1948 a paru en 1979. Les Editions sociales ayant décidé la parution du deuxième tome en 1981, j’ai dû le rédiger au cours des six premiers mois de ma retraite administrative intervenue pour des raisons de convenance personnelle. En juin 1981, quelques jours avant ma nomination aux fonctions de directeur du cabinet du ministre de la fonction publique et des réformes administratives dans le gouvernement de Pierre Mauroy qui devait modifier profondément le cours de cette retraite, paraissait le deuxième tome consacré au syndicalisme de la scission de 1947-1948 à avril 1981.
Tome I - Le syndicalisme des origines à la scission de 1947-1948, Editions sociales, 1979 370 pages - Préface d’Alain Le Léap, ancien secrétaire général de l’UGFF puis de la CGT
Tome II - Le syndicalisme de la scission de 1947-1948 à avril 1981, 1981, 378 pages
A suivre…