A toutes fins utiles, pour le cas où certaines données historiques seraient oubliées ou malmenées:
1° le mouvement syndical s’est développé en France après la publication de la loi du 21 mars 1884 : Fédération nationale des syndicats constituée en 1886, suivie en 1892 de celle de la Fédération des Bourses du travail et en 1895 de celle de la CGT.
2° cette loi ne s’appliquait pas aux personnels des services publics, ainsi que l’a confirmé, quelques mois plus tard, un arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 juin 1885 (les ouvriers d’Etat pouvaient constituer des syndicats).
3° toutes les tentatives des associations professionnelles de fonctionnaires constituées dès la fin du XIXe siècle notamment par les instituteurs, les postiers, les agents des Ponts et chaussées et du grand nombre de celles qui se sont constituées après la publication de la loi du 1erjuillet 1901 de se transformer en syndicats se sont heurtées à l’opposition des gouvernements de la IIIe République.
La position de ces derniers était cependant assez ambiguë : ils considéraient que la « capacité syndicale » ne saurait être accordée aux agents de l’Etat, car ils détiennent une « portion de la puissance publique ». Ils toléraient les associations ou amicales, et même les rares syndicats existants, mais ils s’employaient à combattre ceux qui tentaient de se créer. Dans le même temps, ils avançaient l’idée d’un « statut spécial » essentiellement destiné à consacrer cette situation.
4° La partie la plus déterminée du mouvement associatif des fonctionnaires a mené une lutte intense pour la reconnaissance du droit syndical, c’est-à-dire, concrètement, le bénéfice de la loi de 1884. A la fin de l’année 1905 et au début de 1906, la publication du « Manifeste des instituteurs syndicalistes », la campagne menée par le « Comité central pour la défense du droit syndical des salariés de l’Etat, des départements et des services publics », organisme créé par les associations professionnelles qui groupaient plus de 300.000 adhérents (chiffre énorme pour l’époque et même pour la nôtre, par comparaison avec les effectifs globaux concernés) marquaient les premières initiatives d’une longue lutte pour le droit syndical, saluées par la CGT qui subissait alors la répression du pouvoir, et par des personnalités comme Anatole France, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès.
5° au lendemain de la Première guerre mondiale, la Fédération des fonctionnaires créée en 1909 a adhéré à la CGT en 1920 et s’est employée à cette transformation malgré la répression et les poursuites.
6° après avoir largement contribué à la victoire électorale du Cartel des gauches en 1924, la fédération des fonctionnaires a obtenu la reconnaissance de facto du mouvement syndical des fonctionnaires par une circulaire du ministre de l’Intérieur Camille Chautemps.
7° la jurisprudence du Conseil d’Etat a consacré pendant cette longue période (jusqu’à la publication de la loi de 1946 portant statut général des fonctionnaires) le caractère « illégal » des syndicats de fonctionnaires.
Cet exposé fait apparaître que la lutte du mouvement associatif des fonctionnaires pour la constitution de syndicats s’est constamment heurtée à l’opposition des gouvernements et à une jurisprudence draconienne du Conseil d’Etat, et que la reconnaissance explicite du droit syndical est la pierre d’achoppement des rapports entre l’Etat et les fonctionnaires pendant trois quarts de siècle.