Dans le volume 3 d’un ouvrage intitulé L’Etat et les fonctionnaires (La fonction publique des deux dernières décennies
1986-2006) inséré en publication numérique sur le site Calaméo, on peut lire un chapitre intitulé Qu’est devenu le statut général des fonctionnaires ?
C’est une question capitale que tout fonctionnaire doit se poser en cette période électorale. A ma connaissance on ne la pose pas
clairement dans ces termes, pour des raisons généralement non formulées. De même qu’on ne dit jamais ouvertement que le statut est « en voie d’extinction » dans une grande partie
des fonctions publiques.
La démarche la plus objective et la plus honnête est de commencer par faire un bilan aussi exact que possible des très nombreuses
modifications apportées aux textes au long de cette période « d’alternances » et « cohabitations » et de pouvoir de droite.
Voici donc le chapitre de l’ouvrage que j’ai rédigé à ce sujet (p. 44-45-46) :
O
La politique de la fonction publique trouve sa traduction dans des textes législatifs, réglementaires, et
le cas échéant dans des arrêts de jurisprudence. Il est donc indispensable, même si on ne procède pas à une analyse détaillée et exhaustive, d’en faire une évaluation générale permettant de
mesurer les évolutions du système en échappant assez largement aux interprétations subjectives ou partisanes.
La loi du 19 octobre 1946 (qui comportait 145 articles) a été explicitement abrogée par l’article 56 de
l’ordonnance du 4 février 1959 (qui ne comportait plus que 57 articles en raison des transferts au domaine réglementaire) elle-même abrogée par l’article 93 de la loi n° 84-16 du 11
janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat. Les nouveaux textes applicables aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers ont abrogé les textes
antérieurs. Le titre III concernant la fonction publique territoriale comporte 140 articles alors que le titre II concernant la fonction publique de l’Etat n’en comporte que 93 dont 20
s’appliquent à des dispositions transitoires, parce que bien des dispositions de la première sont du domaine législatif alors qu’elles sont du domaine réglementaire pour la seconde. Le titre IV
concernant la fonction publique hospitalière comprend 136 articles.
De 1946 à 1959, au cours des douze années qui séparent les deux premières versions du statut général, diverses
dispositions essentielles n’ont pas été appliquées, d’autres ont subi quelques modifications législatives et réglementaires et de 1959 à 1981, le statut n’a été modifié que par
une
dizaine de textes législatifs concernant l’allocation temporaire d’invalidité, l’accès direct de fonctionnaires de la catégorie A à certains corps, la situation juridique des personnels des
assemblées parlementaires, les statuts dérogatoires, l’avancement, les fonctions à mi-temps, les congés de maladie, la disponibilité, le congé postnatal et le congé pour couches et allaitement ou
pour adoption, le recrutement, l’honorariat.
Le statut général des fonctionnaires de l’Etat a donc connu, au cours d’une longue période de
prés de quarante ans, une grande stabilité.
De 1986 à 2006, la question du statut a pris dans le débat général sur la fonction publique et
surtout dans les mesures législatives et réglementaires une place beaucoup plus importante. Les quatre titres du statut général des fonctionnaires de l’Etat et des collectivités
territoriales ont vu non seulement leur champ d’application se rétrécir - parfois de façon massive et spectaculaire comme dans l’ancienne administration des PTT- mais ils ont
subi un nombre impressionnant de modifications, sans commune mesure avec ce que l’on avait connu dans les périodes précédentes, réserve faite de l’Ordonnance du 4 février 1959.
Le Conseil d’Etat, qui a consacré plusieurs rapports à une condamnation argumentée de la prolifération des
textes législatifs, des textes réglementaires et des circulaires, pourrait s’interroger sur cet aspect de la situation de la fonction publique.
On peut tenter de minimiser ou de banaliser - pour des raisons plus ou moins avouables- l’importance et la portée des modifications.
Ici, on prend le parti de traiter la situation telle qu’elle est.
Evoquant les modifications apportées aux textes de 1983-1986, le rapport du Conseil d’Etat 2003 semble avoir adopté
la première attitude. Il estimait que le titre Ier (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) n’a fait l’objet que
d’aménagements, importants certes, mais qui n’en changent pas l’esprit. Il se bornait à mentionner l’ouverture de la fonction publique aux ressortissants des Etats membres de la
Communauté européenne par la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991, la modification des règles de la représentativité syndicale par la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996. Il ajoutait qu’il en est de
même du titre II ( loi n° 84-16 du 11 janvier 1984) en précisant que les aménagements intervenus l’ont été pour autoriser ce que l’on qualifie de troisième concours (loi n° 2001-2 du
3 janvier 2001), pour permettre le recrutement direct des handicapés dans des corps de catégorie A ou B (loi n° 95-116 du 4 février 1995) ou pour renforcer le contrôle de passage de
l’administration au secteur privé (loi n° 94-530 du 28 juin 1994).
En réalité, le titre Ier qui comportait 31 articles répartis en 4 chapitres (Dispositions générales, Garanties, Carrières, Obligations) dans sa version initiale, a été modifié par 23 lois et une
ordonnance entre 1986 et 2008 et comprend maintenant les articles 5bis, 5 ter, 5 quater créés en 1991 et 1996, les articles 6 bis, 6 sexiès créés en 1996, 2001, 2005, 2008, les
articles 7 bis, 9 bis, 11 bis et 11 bis A en 1996 et 2008, les articles 13 bis en 2005, 22 bis en 2007, 23 bis en 2005 ( abrogé en 2007). Les articles 6 quater et 6 quinquiès créés en
2001 ont été abrogés en 2007 et l’article 15 a été abrogé en 2007. Plus de la moitié des articles initiaux ont été modifiés et les nouveaux articles ont eux-mêmes subi des
modifications.
Le titre II comportait 93 articles dans sa version initiale. De 1986 à décembre 2007, les deux tiers de ces
articles (en dehors des 20 articles 73 à 93 des dispositions transitoires et finales restés intacts) ont été modifiés par 38 lois qui ont créé les articles 20 bis, 26 bis et 58
bis en 2001, 46 bis en 2002, 45 bis en 2003, 40-1 en 2004, 40 bis, 40 ter, 54 bis en 2005,43 bis, 34 bis, 37 bis, 55 bis ,37 ter et 72-1 en 2007. Les articles 11, 39, 72 ont été
abrogés.
Le rapport du Conseil d’Etat notait que le titre III ( loi n° 84-53 du 26 janvier 2004) a été
davantage modifié, mais il ne citait que la loi n° 87-529 du 13 juillet 1987 en rappelant qu’elle a élargi les possibilités de recours à des agents non titulaires et
substitué à la notion de corps celle de cadres d’emploi.
En réalité ce titre III portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
territoriale qui dans sa rédaction initiale s’inspirait très largement du statut des fonctionnaires de l’Etat considéré comme la référence, a été encore plus profondément modifié que les
titres I et II. A part quelques articles d’ordre général ne posant aucun problème, tous les articles de ce titre qui en comportait 140 ont subi des modifications, parfois très
substantielles.
Quant au titre IV (loi n° 86-33 du 9 janvier 1986) portant dispositions statutaires relatives à la fonction
publique hospitalière, il comportait 136 articles dont la plus grande partie ont subi une ou plusieurs modifications par 43 lois et 4 ordonnances. L’article 133 a apporté de
nombreuses modifications à divers articles du code de la santé publique.
Ainsi, en une période de vingt années, plus d’une centaine de lois ont apporté des modifications à la
plus grande partie des articles du statut général des fonctionnaires de l’Etat et des collectivités territoriales adopté en 1983-1984-1986.
Aujourd’hui encore, il en est qui s’interrogent, notamment dans certaines revues spécialisées, non
pas sur l’avenir de la fonction publique française - question pertinente que tout citoyen doit se poser- mais sur celui du statut général des fonctionnaires, question qui formulée dans ces
termes est dépassée depuis des années. Les mêmes s’emploient à minimiser les attaques dont le statut a toujours été l’objet. Avant d’affirmer que le statut se porte bien (ne serait-ce que pour
ranger dans la catégorie des pessimistes impénitents et isoler ceux qui s’obstinent à exercer leur vigilance dans la sauvegarde des valeurs et des principes fondamentaux de la fonction publique),
il faut s’interroger sur le sens et la portée des modifications intervenues. L’avenir du statut est-il sauvegardé si on réduit systématiquement son champ d’application et si on apporte à
son contenu des modifications qui en dénaturent le sens ? Lorsque des personnalités hostiles aux réformes de cette période participent à des débats ou tables rondes, elles
ne manquent pratiquement jamais de proclamer que le statu quo serait condamnable, que des réformes sont indispensables, voire qu’il faut éviter la sclérose. Au lieu de prendre ainsi des
précautions illusoires et sans objet, elles seraient mieux inspirées en mettant leurs interlocuteurs parlementaires ou responsables politiques et administratifs qui se font les champions de
la « souplesse » et des « adaptations » devant leurs responsabilités en les mettant en demeure de s’expliquer sur le fait qu’ils tiennent le même discours après
avoir inspiré, élaboré et fait adopter des dizaines de lois et de décrets publiés au cours des années précédentes.