Dans le premier article de ce blog, j’indiquais
que certains des initiateurs d’une politique tendant à vider le statut général des fonctionnaires de sa
substance fondent une part de leur argumentation sur des références et des interprétations historiques contestables qu’il convenait de réfuter.
Il faut savoir, avant d’en venir à cette réfutation, que si le statut est resté au cœur
du système français de fonction publique, et si aussi peu d’institutions montreront une
telle vitalité, on le doit probablement à trois facteurs essentiels :
- la cohérence juridique de ses
fondements ;
- sa capacité d’adaptation aux évolutions de la société et de
l’administration ;
- la vigilance et l’action du mouvement syndical des fonctionnaires.
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Dans le débat qui a précédé le vote finalement unanime
du Statut général des fonctionnaires à l’Assemblée nationale constituante en octobre 1946, après la présentation du rapport du député MRP Yves Fagon,
le représentant du groupe socialiste a qualifié ce statut de « totalitaire » sans apporter à l’appui de cette affirmation le moindre
argument, et allant même jusqu’à annoncer : « nous entreprendrons, dès que nous en aurons l’occasion, la révision de certaines de ses dispositions essentielles. » Le représentant
du groupe radical a lui aussi fait des réserves. Maurice Thorez, vice-président du conseil chargé de la fonction publique qui avait présidé à l’élaboration du statut a vivement regretté ces
attitudes à l’égard d’une loi dont il affirmait qu’elle fait « honneur à notre pays ».
Au cours de
l’élaboration du texte et dans les mois qui ont suivi sa publication, plusieurs journaux ont mené une véritable campagne hostile. Des juristes parmi les plus réputés se sont exprimés. Il est
classique de citer Paul-Marie Gaudemet 1 regrettant « le déclin de l’autorité hiérarchique », estimant que « le vieil Etat
napoléonien est menacé par le monstre qu’il a nourri », et craignant que l’autorité des ministres et de l’administration ne soit submergée par la « force syndicale » ou encore Jean
Rivero pronostiquant « la fin du droit de la fonction publique » et regrettant « l’effacement du principe hiérarchique.».2
Cette opposition ne se démentira pas au long des décennies suivantes, elle prendra au fil du temps des formes plus ou
moins acerbes et il faudrait des pages sinon des volumes pour reproduire et réfuter les analyses et
déclarations hostiles plus ou moins argumentées ou les propos témoignant parfois d’une méconnaissance des caractéristiques du système français de fonction publique et de son histoire.
Dans les années 1990, les
propositions tendant non pas à abroger le statut, comme ce fut le cas en 1986, à la veille du retour de
la droite au pouvoir, mais à en faire un « meilleur usage » ont connu une certaine recrudescence parmi les experts qui ont une bonne connaissance du droit de la fonction publique, et
pour certains d’entre eux, de son histoire. Dans un ouvrage publié en 1996 3 je citais une série d’analyses concordantes se situant dans
le discours sur la « modernisation de l’administration » le « management » ou la « gestion des ressources humaines ».
Je concluais ainsi : « La haute administration, tenant maintenant un discours différent de celui que nous avons entendu pendant si
longtemps, aurait-elle été touchée par la grâce ? Ceux qui, apparemment en retard, continuent sur leur ancienne lancée et font figure de dinosaures, auraient-ils des raisons de
s’inquiéter de cette sorte de renversement de l’argumentation officielle et de ce changement de stratégie ? » Je notais qu’en réalité, les recommandations sur un « un bon
usage du statut » (qui d’ailleurs n’étaient pas plus nouvelles que les autres) ressemblaient parfois au sabre de M. Prudhomme et je notais aussi
les considérations particulièrement outrancières avancées par un ancien directeur du Budget, Jean Choussat, qui se signalait sur ce registre par une série d’attaques virulentes sur
les pratiques du « dialogue social » qu’il assimilait à une « démission de
l’autorité », sur le comportement jugé irresponsable des organisations syndicales, pendant qu’un autre expert proposait d’éviter d’attaquer de front les « bastilles » qui
bloquent l’administration, parmi lesquelles « l’intangibilité du statut de la fonction publique » en voyant dans la politique dite du
« renouveau des services publics » de Michel Rocard « un moyen de les contourner ».
Pourtant, même en ces dernières années du
XXe siècle et les premières du XXIe, marquées par la mise
en œuvre de méthodes autrement efficaces, puisqu’elles réalisent une réduction du champ d’application du statut en le mettant « en voie d’extinction » dans des secteurs entiers, et en remettant en cause des aspects
essentiels, certaines personnalités, sans doute marquées par des préoccupations idéologiques et politiques répondant aux traditions anciennes d’hostilité au monde des fonctionnaires, ou
d’attachement à « l’Etat fort » ont repris des propos qui permettaient d’ailleurs de se demander si elles s’étaient donné la peine de consulter les textes qu’elles
dénonçaient.
Ces propos étaient tellement aberrants
qu’on s’est bien gardé, dans les revues spécialisées, de les mettre en évidence.
Une lacune que je me suis efforcé de
combler depuis assez longtemps, mais dans des textes à diffusion limitée.
1- Paul-Marie Gaudemet, Le déclin de l’autorité hiérarchique, Dalloz, 1947.
2- Jean Rivero, Vers la fin du droit de la fonction publique, Dalloz, 1947.
3- René Bidouze, Fonction publique, Les points sur les i, Editions de la VO, 1996.