Les organes judiciaires
La commission de la Justice de la Commune de Paris 1871, animée par l’avocat Eugène Protot, a ainsi défini sa mission : « expédier les affaires civiles et criminelles les plus urgentes et prendre les mesures nécessaires pour garantir la liberté individuelle de tous les citoyens. ».
La première tâche de cette commission fut donc de remettre les organes judiciaires en activité. Elle nomma un président de la Chambre des référés (Adolphe Voncken, avocat près la Cour d’appel) en attendant la reconstitution du Tribunal civil, rétablit le Tribunal de Commerce, supprima la vénalité des offices ministériels, abolit le serment professionnel, décida que les huissiers, notaires, commissaires-priseurs recevraient un traitement fixe, procéda à des nominations, et même à la création de plusieurs offices nouveaux pour suppléer au refus de certains d’instrumenter.
Pour ces officiers ministériels, les mesures adoptées par la Commission de la Justice ne seront qu’un épisode sans lendemain. En effet, ces professions, qui remontent au XIIe siècle pour les notaires, à l’Ancien Régime pour les huissiers, à la Restauration et à la Monarchie de Juillet pour les commissaires-priseurs, elles sont encore aujourd’hui régies par des structures hiérarchisées conformes pour l’essentiel à leur statut d’origine. Répondant à des conditions strictes de diplômes et d’accès à leurs charges, ces officiers ministériels sont nommés par le garde des Sceaux.
Quant aux greffiers autres que ceux des Tribunaux de Commerce, ils sont des fonctionnaires d’Etat. Ces nominations sont généralement portées à l’actif de Protot et de la délégation à la Justice. Pourtant, Lissagaray, qui condamnait cette « caste » et l’accusait de prélever « chaque année plusieurs centaines de millions sur la fortune publique », estimait que ces nominations étaient « très inutiles en ce temps de bataille », et qu’elles avaient « le tort de consacrer le principe de ces offices ».
De même, il regrettait que le banquier Jean-Baptiste Jecker, qui joua un rôle important dans la malencontreuse expédition du Second Empire au Mexique, n’ait pas été inquiété par les autorités de la Commune, alors qu’il s’était présenté « naïvement » à la Préfecture de police pour demander un passeport. Il aurait pu, en effet, pensait Lissagaray, faire des révélations intéressantes dans un procès sur des événements qui coûtèrent à la France « trente mille hommes et plus d’un milliard ».
Deux organes d’exception furent constitués : le Jury d’accusation et la Cour martiale. Le premier de ces organes, créé par le décret publié au JO du 6 avril, qui sera connu sous le nom de « décret des otages », devait connaître des actes de complicité avec le gouvernement de Versailles, et des crimes. On fit notamment appel à des officiers, sous-officiers ou gardes nationaux titulaires de la licence en droit. La Commune fit une désignation par tirage au sort des quatre-vingt délégués formant ce jury d’accusation, répartis en quatre sections (la liste de ces délégués figure avec leurs adresses personnelles, au JO du 7 mai).
Naturellement, la presse hostile à la Commune poussa des cris d’orfraie lors de la sortie du décret des otages. Mais elle fit preuve de la plus grande discrétion devant le projet de loi présenté dans le même temps devant l’Assemblée de Versailles par le ministre de la Justice Armand Dufaure. Or ce texte tendait à accélérer la procédure déjà fort expéditive des conseils de guerre pour juger les délits militaires en supprimant toute instruction préalable et en concentrant sur une seule journée la présentation de l’accusé, le pourvoi et la condamnation (analyse et commentaires au JO de la Commune du 9 avril).
Un décret en date du 11 avril décidait la création d’un conseil de guerre dans chaque légion de la Garde nationale, en vue de combattre l’indiscipline provoquée par le gouvernement de Versailles. Les membres de ces conseils devaient être élus par les délégués des compagnies. Le 16 avril, un communiqué du délégué à la Guerre (JO du 17 avril) approuvé par la Commission exécutive constatait que les conseils de guerre n’existaient pas encore et indiquait qu’il était autorisé à constituer une Cour martiale pour juger les « cas exceptionnels » exigeant une « répression immédiate ». Au JO du 18 paraissait un « arrêt » sur la procédure et les peines. Ce texte définissait le rôle de la police judiciaire et celui de la cour dont les séances devaient être publiques, et précisait que les peines (comme indiqué dans les développements sur l’expression juridique de la Commune), relevaient du code pénal et du code de justice militaire.
Que faisait le gouvernement de Versailles dans le domaine judiciaire, en dehors de son entreprise de répression immédiate des fédérés ? La lecture du JO montre qu’il s’employait très activement à la mise en place des tribunaux pour le lendemain de la Commune, par des dizaines de nominations de magistrats. Mais il n’a décidé de faire siéger « provisoirement » à Versailles la Chambre de cassation criminelle et la Cour d’Appel de Paris qu’à la fin avril, parce qu’elles étaient saisies « d’affaires dont la décision est urgente » !