Pour justifier le choix de son thème (Perspectives pour la fonction publique) le Conseil d’Etat se référait à l’article 24 de l’ordonnance du 31 juillet 1945, aujourd’hui codifié sous l’article L. 112-3 du Code de justice administrative qui lui a conféré compétence pour « [...] de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes à l’intérêt général ». Il s’estimait « particulièrement bien placé » en raison de son rôle historique dans la mise en place en France d’une fonction publique moderne, des fonctions juridictionnelles et consultatives qu’il exerce, et de l’expérience acquise par nombre de ses membres dans les responsabilités assumées à la tête de grands services publics.
La compétence et l’expérience du Conseil d’Etat en ce domaine ne font aucun doute. Cependant on peut s’interroger sur les arguments avancés pour légitimer son intervention prospective. A la fin du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe, les arrêts rendus sur des recours individuels ou collectifs ont constitué ce que l’on a qualifié de véritable « statut jurisprudentiel », source essentielle des principes généraux de la fonction publique repris dans le Statut général des fonctionnaires en 1946. Cependant, le rôle du Conseil d’Etat dans l’élaboration des garanties professionnelles, dans les versions successives du statut et dans les réformes qui sont intervenues, pour important qu’il soit, est essentiellement resté dans le cadre de ses fonctions consultatives et de sa jurisprudence. Il n’est pas intervenu dans le cours de la politique salariale, qu’il s’agisse de la détermination des rémunérations, ou de l’élaboration des réformes et mesures catégorielles qui lui sont associées notamment dans la politique contractuelle (sous réserve, naturellement de son avis sur les textes réglementaires et éventuellement législatifs qui les consacrent). A notre connaissance, il n’y a pas d’exemple permettant de dire que le Conseil d’Etat aurait été l’inspirateur direct de grandes réformes de la fonction publique, ce qui risquait d’être le cas avec ce rapport 2003. Un tel précédent, une telle novation méritaient d’être soulignés, au moins comme un élément de réflexion sur la manière de déterminer l’avenir de la fonction publique en France.
Le Conseil d’Etat mesurait d’ailleurs lui-même les limites de l’exercice en donnant dans l’éditorial du vice-président cette importante précision quant aux suites que le rapport pouvait comporter : « Le Conseil d’Etat s’efforce, sur chacune de ces questions, de dégager les tenants et aboutissants des choix à faire, tout en laissant ceux-ci totalement ouverts, car il ne lui appartient pas de trancher. La place et le rôle donnés à la fonction publique et le profil que l’on souhaite pour celle-ci constituent des options de nature politique qui relèvent des seuls pouvoirs publics. »
Avant de présenter ses propositions, le rapporteur prenait d’ailleurs soin de préciser qu’elles ne visent pas à avancer « un modèle de fonction publique du XXIe siècle. »
On ne manquera pas de souligner néanmoins les corrélations étroites qui existaient entre les propositions avancées et la politique gouvernementale de la période.