Pour compléter ce titre, il faudrait ajouter…et les bonnes manières d’y faire face !
Ma communication au colloque de l’Institut CGT d’histoire sociale des 14-15 mai 2008 sur La CGT de 1966 à 1984 : l’empreinte de Mai 1968 était modestement intitulée Note sur la Fonction publique1. Dans ce texte de 12 pages (161-173) qui traitait « La politique des masses salariales (1963-1968) » « La politique contractuelle (1968-1981) » « La gauche au pouvoir (1981-1984 », il était précisé : « L’UGFF a connu une crise grave. On se bornera à noter ici que cette crise, analysée par ailleurs, n’a pas affecté la poursuite de l’action du mouvement syndical CGT des fonctionnaires et qu’elle n’a jamais porté sur la question de savoir s’il convenait ou non de signer les accords salariaux : le refus de signature n’était pas contesté. »
Ainsi, cette communication mentionnait la crise survenue dans le mouvement syndical CGT des fonctionnaires au cours de cette période avec un point culminant en 1975-1976, mais ne la traitait pas, en renvoyant aux textes publiés par ailleurs sur ce sujet.
Ces faits ont été vécus par un très grand nombre de personnes ayant occupé des responsabilités aux différents échelons ou participé à des débats d’une ampleur sans précédent dans le cadre de la préparation du congrès de l’UGFF en février 1976. Des dizaines de syndicats nationaux groupés dans des fédérations, implantés sur l’ensemble du territoire et réunissant de nombreux adhérents étaient concernés.
Il s’agit donc de faits sociaux, de comportements humains, de rapports et d’enjeux se rattachant à des données politiques et syndicales caractérisant à bien des égards une certaine époque. Il ne s’agit pas d’anecdotes personnelles mais d’une tranche d’histoire d’un syndicalisme dont les orientations et l’action s’appliquent à des millions de fonctionnaires et à leurs rapports avec l’Etat.
D’autre part, une des caractéristiques de ces événements est qu’ils n’ont pas affecté seulement le mouvement syndical des fonctionnaires. Ils ont été fortement marqués d’implications confédérales. Ils sont donc non seulement un épisode de l’histoire du syndicalisme des fonctionnaires, mais aussi, bien que dans une mesure moindre, de celle de la CGT.
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Pour renforcer les réflexions de fond, de forme et de méthode que cela peut inspirer, il est intéressant et instructif de les envisager dans un contexte plus large en se référant à certains écrits de Georges Séguy qui fut le secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982, membre du bureau de la Fédération syndicale mondiale de 1970 à 1982, président d’honneur de l’Institut CGT d’Histoire sociale dont il fut le président fondateur.
Dans la préface aux Actes du Colloque de mai 2008 sur La CGT de 1966 à 1984, il notait, à propos « d’événements nationaux, européens et internationaux complexes de cette période » que les divergences au sein des organismes de direction de la CGT « n’ont pas donné lieu aux débats démocratiques qui se justifiaient » « par souci d’éviter d’étaler publiquement une mésentente interne ». Il le regrettait en constatant que cela avait « privé la génération de militants de la CGT des deux dernières décennies du siècle dernier d’une connaissance réelle de la nature de ces divergences qu’il serait absurde de soustraire à l’histoire de la CGT». Il ajoutait : « Aujourd’hui, le recul du temps permet d’aborder la vérité en toute quiétude ».
A propos de la rupture du Programme commun de la gauche en 1977, il notait que cette rupture « entraîna une profonde déception dont la CGT ressentit les conséquences et fit l’objet de désaccords sérieux au sein de sa direction ». Il ajoutait : « Encore un sujet de sérieuses différences d’appréciation et d’orientation pudiquement classées à part, alors qu’elles auraient justifié un large débat dans la CGT afin de parvenir à une analyse collective… »
Les conclusions du colloque n’ont pas manqué de confirmer une vérité d’évidence : il ne pouvait être exhaustif et il importait de poursuivre la recherche historique avec les militants témoins et acteurs et avec les historiens et chercheurs.
Dans l’ouvrage « Résister » publié en 2008 2 dont le titre annonçait qu’il retrace son itinéraire « De Mauthausen à mai 1968 » Georges Séguy allait bien au-delà en consacrant le dernier quart à des événements se situant dans la même période que la crise du mouvement des fonctionnaires dont il s’agit ici et dans les dernières années du XXe siècle.
La conclusion du chapitre intitulé « Autour d’une affiliation : la Fédération syndicale mondiale » se rapportant à la désaffiliation de la FSM en 1995 et à l’entrée à la CES quatre ans plus tard, était ainsi rédigée : « Une page est enfin tournée. Je pense qu’elle aurait dû l’être au moins six ans auparavant, pour le bien de la CGT. En effet, depuis mon élection aux fonctions de secrétaire général cette affiliation internationale a été le premier sujet de flagrant désaccord auquel la direction confédérale a dû faire face. »
Les chapitres suivants, qui s’intitulaient « La rupture du programme commun » « Divergences et oppositions », « Histoire d’une succession » (p 177-195) évoquaient les désaccords, les divergences, « la crise qui atteint la direction nationale de la CGT », « les départs et démissions qu’elle entraîne » et le dernier de ces trois chapitres révélait quelques aspects de la relation qui existait entre CGT et Parti communiste.
Georges Seguy reprenait ainsi l’opinion exprimée à l’occasion du colloque : « Si la direction de la CGT a été confrontée à des différences et des désaccords qui ont dégénéré en divergences et en démissions lourdes de conséquences, ces moments sont demeurés peu connus, et ce en vertu d’un vieux dicton qui a très longtemps prédominé : « Mieux vaut laver son linge sale en famille que de l’étaler sur la place publique au risque de permettre à l’adversaire de l’utiliser contre nous ». De nos jours, ce mutisme est devenu absurde. La clarté n’est plus une aspiration mais une nécessité ».
Ces considérations débouchaient sur d’intéressants développements politiques et syndicaux sous le titre « Réalités et perspectives ».
Le traitement de la crise du mouvement syndical des fonctionnaires en 1975 échappe aux critiques et à aux regrets ainsi exprimés au sujet de la CGT pour au moins deux raisons. La première est qu’il a été caractérisé par un très large débat dans l’ensemble des organisations composant le mouvement syndical des fonctionnaires alors que ceux qui avaient déclenché cette crise tentaient de la conclure par des voies autoritaires en évitant toute discussion des problèmes de fond. La seconde est qu’il est repris dans un ouvrage publié quelques années plus tard, sans attendre le « recul du temps » qui reste nécessaire mais n’apporte pas nécessairement la « quiétude » attendue 3.
La principale conséquence est qu’après le dénouement de la crise au début de 1976, le mouvement syndical des fonctionnaires, considéré dans son acception la plus large, c’est-à-dire avec les fédérations des PTT et des services publics et de santé a connu une grande activité et a pris – comme exposé dans plusieurs articles récents de ce blog - des initiatives marquantes sur les questions du statut général des fonctionnaires et sur celles de l’Etat et des institutions dans une coopération efficace avec le bureau confédéral.
L’étude historique de la crise a une autre caractéristique : elle s’appuie notamment sur un dossier d’archives composé de 51 pièces numérotées. Ce fonds, constitué d’une série de documents émanant des principaux protagonistes du conflit (UGFFF, Fédération des finances, SNADGI, bureau confédéral de la CGT) contient des rapports, correspondances, interventions dans les diverses instances du mouvement syndical 4. Les documents du secrétaire général de l’UGFF sont d’une exceptionnelle précision, en raison de la décision prise après la réunion du bureau confédéral du 23 avril 1975 et scrupuleusement respectée, de ne plus faire aucune déclaration, aucune intervention dans les débats qui auront lieu tout au long du déroulement de la crise, dont le texte ne serait pas préalablement écrit.
Or ces documents ont été soumis au fil du temps à des manœuvres et à des blocages qui avaient pour but et ont eu pour effet de les soustraire à un accès public. Il est certain que cette situation contraire aux principes élémentaires de la recherche historique et à l’intérêt bien compris du mouvement syndical, ne pourra rester indéfiniment en l’état.
Ces approches des données historiques du monde des fonctionnaires et de celui du syndicalisme confédéral comportent d’autres différences qu’il serait instructif d’examiner, mais il est essentiel de constater qu’elles se rejoignent quand à l’intérêt pour le mouvement syndical d’analyser les événements qui ont marqué certaines périodes, les positions adoptées, les responsabilités assumées, les enjeux.
1- Colloque- La CGT de 1966 à 1984 : l’empreinte de mai 1968 14-15 mai 2008, Institut CGT d’histoire sociale
2- Georges Seguy, Résister, De Mauthausen à mai 1968, l’Archipel, 2008.
3- René Bidouze, Les fonctionnaires sujets ou citoyens Le syndicalisme de la scission de 1947-1948 à 1981, Editions sociales, 1981.
On peut se procurer cet ouvrage, le consulter à la BNF ou dans d’autres bibliothèques, mais il est épuisé, les Editions sociales ont disparu depuis longtemps et sa réédition n’est pas envisagée. Il figure dans certaines bibliographies, et il est même abondamment cité, notamment dans l’Histoire de la Fédération CGT des PTT, ouvrage collectif qui vient d’être publié pour la période 1945-1981.
4- Ce dossier n’est cependant que la partie centrale de l’ensemble de la documentation. Il existe en effet dans les archives de l’UGFF, dans celles des fédérations et des syndicats nationaux, et le cas échéant dans les archives confédérales, un grand nombre d’autres documents dont l’examen permettrait de mieux connaître les réactions qui ont pu se manifester dans les profondeurs du mouvement syndical des fonctionnaires.