Dans son témoignage, mon camarade et ami Louis Viannet affirme : « Lorsque je suis arrivé au secrétariat général, j’avais la conviction qu’il était absolument indispensable que l’organisation syndicale ait sa pleine indépendance, qu’aucune de ses décisions ne soit influencée ou influençable par rapport à l’intérêt du parti » La raison ? « Un parti qui veut aller au gouvernement est obligé de passer des compromis qu’un syndicat n’est pas obligé de suivre ». Il précise qu’il en a acquis la certitude après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République « lorsque les communistes sont entrés au gouvernement. »
Il était, dit-il, en désaccord avec Henri Krasucki « qui considérait qu’il y avait une ligne jaune à ne pas franchir, celle où une prise de position de la CGT pouvait déboucher sur un conflit entre le PC et le PS ».
Il est, à mon avis, une vérité d’évidence : les compromis qu’un parti politique doit accepter lorsqu’il participe à un gouvernement ne sont pas de même nature que ceux qu’un syndicat doit éventuellement admettre, et si le syndicat est indépendant à l’égard des partis et du gouvernement ce qui devrait être la règle, chacun doit se déterminer sur ses propres bases et conformément à ses propres orientations en souhaitant que le fameux « dialogue social » fasse la décision.
On sait plus clairement aujourd’hui que des responsables syndicaux également membres du comité central ou du bureau politique du PCF étaient hostiles à la décision de participation de leur parti au gouvernement en 1981, et il semble que cette position, qui relevait de leurs responsabilités politiques, a interféré jusqu’au bout avec leurs fonctions syndicales.
A aucun moment de l’exercice de mes responsabilités syndicales puis ministérielles ou juridiques, pendant des dizaines d’années, je ne me suis posé la question en ces termes. Un tel conflit m’était étranger dans la position de directeur du cabinet de ministre que j’occupais et même dans celle d’ancien dirigeant syndical, et le demeure encore aujourd’hui avec le recul.
Quel que soit le gouvernement et sa composition, les positions à prendre par l’organisation syndicale sur les différentes mesures en discussion et sur leur acceptation ou leur refus doivent être déterminées autant que possible après consultation de ses instances, voire de ses adhérents. Elles ne peuvent être fondées que sur un critère : l’intérêt général et l’intérêt des personnels représentés.
Dans la décennie qui a suivi le mouvement de mai 1968, la délégation que je conduisais en qualité de secrétaire général de l’UGFF (dont Louis Viannet faisait partie au titre de la Fédération postale et Raymond Barberis à celui de la Fédération des services publics et de santé) pour les négociations annuelles de la politique contractuelle avec des ministres de droite, c’est bien ainsi que nous nous sommes déterminés et nous n’avons jamais eu de désaccords.
C’est une position de principe qui ne change pas avec la couleur du gouvernement. Ce qui n’interdit pas d’espérer qu’un gouvernement de gauche pratique une politique plus conforme aux intérêts du monde du travail, et même d’agir pour qu’il en soit ainsi.